Mauvais Sang numéro 11 / Édito

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Pas de doute : y aurait de quoi déprimer. Des manifestations anti-immigration en Irlande en juin et aux Pays Bas fin septembre 2025… des poussées populistes et sécuritaires qui progressent… : la réaction a gagné du terrain et a convaincu son petit monde. En France et à Paris, les aires subversives et contestataires semblent être réduites à peau de chagrin et gangrenées par la confusion, l’identitarisme et les batailles de chapelle idéologique.
Quant aux hypothèses révolutionnaires, elles apparaissent tragiquement aujourd’hui au mieux comme un doux rêve désuet, au pire, pour les plus cyniques, comme une vaste blague. Le martèlement de plus en plus appuyé pour la mise au travail généralisée de toutes les sphères de la société, mais aussi la menace toujours plus pesante d’une guerre mondiale visible par la militarisation et l’armement, rendent d’autant plus visible une apathie et une sidération où chacun est recroquevillé sur sa propre misère et sur ses propres angoisses. Loin sont les perspectives de luttes collectives, encore plus loin l’espoir de détruire ce monde pour faire apparaître le nouveau.
La police de l’immigration américaine, gonflée à bloc par un budget colossal et un soutien sans faille de l’administration de Trump, organise des rafles d’envergures de sans-papiers, semant la terreur et mettant en scène ses propres arrestations. Mais ! Face à cela, des émeutes anti-police de l’immigration (ou « ICE », Immigration and Customs Enforcement) ont été particulièrement virulentes et combatives à Los Angeles en juin 2025 et se sont étendues à de nombreux états, et perdurent depuis. En France, l’État semble vouloir imiter ICE et a organisé des rafles en juin dernier lors de plusieurs journées. Enthousiasmée par les contestations aux US, l’AG Antifa de Paris avait appelé à un rassemblement à la Gare du Nord en juin dernier, où des centaines de personnes sont venues et ont perturbé la circulation pendant plusieurs heures dans l’objectif d’empêcher des arrestations, qui étaient particulièrement présentes dans les gares parisiennes.
De l’autre côté de la planète, au Népal, à Madagascar, au Maroc, en Indonésie, au Pérou, les manifestations « GenZ » ont mis un sacré coup de pied dans la fourmilière. On retrouvera dans ce numéro un article sur le sujet « La Gen Z à l’assaut de Marineford ».
On espère que ce nouveau numéro de Mauvais Sang pourra contribuer à agiter réflexions, perspectives et discussions, car, plus que jamais, il nous semble nécessaire de réaffirmer une solidarité internationale et une position révolutionnaire non pas malgré mais CONTRE ce contexte, sa déprime et la peur qui s’infiltre.
Solidarité aux révoltés du monde entier ! Vive la révolution !
Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.


Des enfants bâtards
de l’anarchisme et du communisme.

La Gen Z à l’assaut de Marineford !

Népal, Maroc, Madagascar, Indonésie, Pérou… ces derniers mois et semaines, des manifestations monstres, des émeutes ou même des chutes de régimes ont eu lieu dans différents pays du monde et ont fait souffler un vent qui ranime nos plus vifs espoirs !
En Indonésie, l’indignation montante aux privilèges des élites sur fond d’austérité a basculé quand le 28 août, les flics ont tué un jeune lors d’une manifestation à Jakarta puis quand, le 31 août, des vidéos montrant des parlementaires dansants alors qu’ils venaient de recevoir une allocation logement indécente deviennent publiques. Les semaines suivantes, des émeutes embrasent le pays, conduites par le slogan « Indonesia Gelap, Revolusi Dimulai » (« l’Indonésie est sombre, nous commençons la révolution »). Des parlements régionaux sont incendiés, des résidences de ministre pillées. La répression terrible, ayant mobilisé police et armée, qui a conduit à des dizaines de morts et de disparus, a depuis réussi son objectif d’intimidation… le mouvement avait aussi la particularité d’avoir comme symbole le drapeau de One Piece, ce manga sur les pirates et leur soif de liberté, un symbole repris ensuite du Népal à Madagascar en passant par le Pérou.
Au Népal, le souffle du mouvement qui dénonçait à la base le népotisme et les privilèges de la caste dirigeante a été destructeur. Le 9 septembre, après des semaines d’affrontements à Katmandou ayant mené à plus de 70 morts, les manifestants ont envahi le Parlement et les résidences de plusieurs membres du pouvoir, dont celle du premier ministre, et les ont brûlé de fond en comble ! Car on ne s’arrête jamais en si bon chemin, les sièges du Parti Communiste Népalais (marxiste-léniniste, le parti au pouvoir) et du PCN (de l’opposition maoïste, qui appelait les manifestants à être pacifiques), et du Congrès népalais, sont vandalisés par les émeutiers, et la prison du district de Kailali est attaquée puis incendiée, permettant à tous les détenus de retrouver la liberté !
Au Maroc, c’est la mort de 8 femmes après leur accouchement par césarienne à Agadir en raison du manque de moyens du secteur sanitaire marocain, qui a mis le feu aux poudres. Dès les premiers jours de manifs, le pouvoir a réprimé en interpellant ou en tabassant en masse tout contestataire, mais les révoltés ont continué de déferler dans les rues.
Récemment, le collectif GenZ 212, une des façades du mouvement, a annoncé que les manifs ne remettaient pas en cause les fondements de l’autorité royale, qu’elles se devaient de rester pacifiques et que les appels cesseraient momentanément suite aux promesses de réformes du roi Mohammed VI (alors qu’au même moment, la justice condamne à tours de bras nombre de contestataires par des peines de plusieurs années de prison)
On ne nous la fera pas ! Les jeunes marocains qui sont allés dehors, qui ont enflammé les rues, qui ont détruit les comicos, ceux qui se sont fait flinguer en tentant de prendre d’assaut des postes de police pour prendre armes et munitions, ceux qui ont blessé plus de 300 policiers, n’étaient en rien pacifiques et n’avaient sûrement pas qu’en tête d’améliorer le service public !
A Madagascar, les manifs et appels à la grève sont partis de l’exaspération provoquée par les coupures d’eau et d’électricité imposées à la population et se sont étendus à une remise en cause généralisée du pouvoir en place, alors que l’île connaît une pauvreté massive. Le pouvoir a réagi comme il sait si bien le faire : lacrymos, tabassage, tirs à balle réelles…. Dans les jours suivants, malgré les morts et le couvre-feu, le mouvement s’intensifie et des pillages massifs se déclarent : supermarchés, commerces, banques, hôtels … tout y passe, malgré les appels au calme des démocrates !
Au Pérou, c’est aussi un système généralisé de corruption du pouvoir et des nouvelles réformes sur les retraites, qui est dénoncé, principalement par les étudiants. A Lima, les manifestations ponctuées d’affrontements violents avec les forces de l’ordre, de cocktails molotovs et de tentatives d’invasion du Congrès se répètent ces dernières semaines. Le 10 octobre, la présidente Dina Boluarte a été destituée, ce qui n’est « qu’une étape » selon nombre de révoltés.
Si les revendications explicites de ces mouvements parlent de justice sociale, de lutte contre la corruption ou contre la mauvaise gestion des services publics, nous ne pouvons que voir dans toutes ces protestations une remise en cause générale des conditions de vie qui sont imposées aux exploités de ce monde. Partout, ce qui est attaqué c’est l’État et sa bureaucratie, c’est le personnel politique (même celui qui se revendique historiquement « révolutionnaire » tel que les ersatz staliniens des différents Parti Communistes comme au Nepal) , c’est la bourgeoisie qui s’enrichit sur le dos des exploités, c’est la misère par les salaires dérisoires ou le chômage forcé, c’est les restrictions et le manque de ressources, c’est les flics qui protègent les exploiteurs à coups de matraques et de fusils, c’est le manque de perspectives futures dans ce monde de merde.
On peut déceler aussi une force anti-politique qui sous-tend en partie ces manifestations. Dans plusieurs de ces mouvements, comme au Népal, c’est le monde des politiciens en général, toutes orientations confondues, qui fut attaqué pendant un temps. C’est l’enrichissement généralisé de tous les bourgeois et des dirigeants qui fut remis en cause, comme en témoignent les attaques du Parlement ou des résidences de parlementaires. Pourtant, nous pouvons voir que les sirènes démocrates et leurs sempiternelles promesses de réformes, d’apaisement, de répression judiciaire des anciens décideurs, fonctionnent malheureusement toujours aussi bien. Au Népal, une nouvelle Première ministre a été choisie sur Discord (qui avait été un outil décisif dans le mouvement) après la chute du gouvernement, au Maroc les réformes promises par le roi ont mis en pause le mouvement, en Indonésie le mouvement est fini en attendant les aménagement promis, à Madagascar un technocrate a été nommé Premier Ministre, et au Pérou les oppositions en ont profité pour destituer la présidente, en attendant sûrement de prendre la place et régner à leur tour…
Le capitalisme et l’Etat, comme des serpents qui muent mais ne meurent pas, savent se réinventer constamment pour récupérer les espoirs les plus farouches et les intégrer. A tout prix, nous devons nous interroger sur les raisons qui permettent si facilement à la démocratie de récupérer des révoltes si offensives matériellement et de pouvoir réinstaurer une autre autorité qui ne changera rien à rien.
Soit-dit en passant, il est étonnant qu’en France, il y ait plus d’intérêt pour des députés en représentation médiatique sur des bateaux pour leur carrière que pour des gens qui attaquent leurs propres députés.
De l’Indonésie et du Népal à partout ailleurs, que vive la révolte contre le vieux monde !

Alerta Secte Mondiale ou Au secours pourquoi travail devoir

Courrier adressé à Mauvais Sang, reçu d’une autre planète :

Cher journal bâtard pour la révolution,
Nous vous écrivons pour vous alerter à propos d’une secte généralisée au niveau mondial qui sévit depuis plusieurs siècles et qui concerne la majorité des habitants de votre planète, d’où son enracinement. Sa généralisation et sa banalisation suffisent malheureusement trop souvent à masquer ses dynamiques complètement sectaires, enfermantes et obscurantistes. Un à un, nous voyons des terriens tomber sous sa dépendance. « Une secte se caractérise par une emprise mentale qui porte atteinte à l’équilibre moral, sanitaire, financier et familial d’une personne. La secte cherche à isoler, désociabiliser, endoctriner, déresponsabiliser une personne pour la pousser à une perte d’autonomie ou encore une perte financière », disent les Terriens. Mais alors pourquoi est-ce que le Travail n’est pas concerné par cette caractérisation, qui nous semble pourtant flagrante vue de loin ? Dès qu’un être humain se met à rejoindre le TRAVAIL, foi de zgobuluk, son équilibre psychique, physique et social est complètement affecté. Il peut perdre tout son temps à perdre ses liens, projets, amitiés et rêves qui existent en dehors du travail, mais ne peut en sortir qu’à condition d’en trouver un autre, tout en devant adhérer (ou en devant faire semblant d’adhérer) à une doctrine de valorisation absolue de cette secte éreintante, au nom d’un Dieu appelé tantôt PIB, tantôt Dette publique, tantôt Economie… La perte d’autonomie est flagrante, puisque les travailleurs sont soumis à une hiérarchisation qui les surveille et contrôle la moindre miette de leur temps, tout en les obligeant à suivre un parcours d’initiation ésotérique complètement débilitant : savoir-être, soft kills, entretien d’embauche, période d’essai, afterworks… Cette secte sacrifie et tue des milliers de personnes à travers votre planète tous les jours, et tout est fait pour que ne pas en faire partie soit une terrible condamnation financière. La dépendance et l’aliénation sont trop grandes, allez Terriens, détruisez le Travail, vite, vite vite !!!
PS : Nous avons été informés par sonde anti-travailliste qu’un week-end contre cette secte allait être organisé par le CAT (Collectif Anti Travail) à Paris dans les prochains mois. Il est évident que nous relayons avec beaucoup d’enthousiasme cette invitation auprès du journal Mauvais Sang et surtout de ses lecteurs.

Aucune liberté dans l’euthanasie

Alors que les personnes âgées sont entassées dans des EHPAD aux conditions de vie souvent pitoyables et moribondes ; alors que justement des discours anti-vieux se répandent au fil des années, notamment parmi les jeunes générations à qui on fait croire que ce sont les générations d’avant qui sont responsables de la misère écologique et non le capitalisme et ses industries ; alors que le travaillisme ressert ses vis partout où France Travail contrôle allocataires et RSAstes ; alors que les improductifs sont toujours plus fliqués ; alors que les maladies et accidents du travail viennent abîmer chaque jour davantage de vies ; alors que se mettre en arrêt maladie devient de plus en plus compliqué… on voudrait nous faire croire qu’il y aurait quelque part une sorte de liberté à mourir que l’État – cet État même qui nous pourrit la vie – viendrait nous octroyer gracieusement ? Mais de quelle liberté parle-t-on ? Celle de choisir librement de ne pas coûter un lit d’hôpital de plus à la société ? Celle de choisir librement de ne pas dépendre d’autrui ? Celle de choisir librement de sauver fictivement le PIB de la dette publique de ce putain de pays en renonçant à sa retraite, à des aides, etc ? Mais que raconte donc cette gauche qui vient nous dire que le droit à l’euthanasie est le nouveau progrès sociétal, à la suite du droit à l’avortement ? Quelle est cette arnaque qui n’arrange au fond que le capitalisme ? Qui a confiance dans l’État au point de lui confier un pouvoir de législation sur la mort ?
La gestion désastreuse de la pandémie de Covid, avec son manque de lit et son triste tri des vies effectué, aurait pourtant de quoi nous mettre la puce à l’oreille. La gestion à flux tendu des malades est toujours sur le fil de son débordement faisant appel aux pires « sauvetages » en fuite en avant du capitalisme : hiérarchisation des patients selon de multiples critères (improductifs ou non, nationaux ou non), et vautrage de ce fait dans un eugénisme parfois quasi cyniquement assumé, ainsi que dans une xénophobie crasse lorsqu’il s’agit d’écarter du soin ceux qui n’ont pas les bons papiers.
Mais ce qui nous surprend le plus dans ce fantasme libéral qu’a la gauche d’une émancipation par la mort médicale (et nous ne faisons volontairement pas de différence entre l’euthanasie et le suicide assisté ici), c’est que c’est cette même gauche qui nous alerte chaque jour contre « la fascisation du monde » et contre son « néolibéralisme ». Dans ce cas, à Jour-X avant le fascisme, ne serait-il pas plus raisonnable de s’abstenir de donner à un État fasciste en puissance les moyens légaux de tuer ses indésirables ?
Alors qu’un mauvais air de panique contre le vieillissement de la population circule, d’angoisse démographique, qui souvent contribue au renouvellement de théories eugénistes et réactionnaires, il serait salutaire d’empêcher que l’euthanasie vienne répondre à cette angoisse. Qui veut d’un monde où la mort est une solution démographique ? Les ennemis de l’émancipation, les gestionnaires fossoyeurs de désirs, de soin et de révolte.
Mais fallacieusement, l’euthanasie est présentée comme la suite logique du « mon corps, mon choix » par de nombreux adeptes souvent progressistes de cet arsenal mortifère. A l’inverse, ce parallèle est également tracé par la droite religieuse et réactionnaire qui s’oppose à l’euthanasie de la même manière qu’elle s’oppose à l’avortement (gloire à Dieu qui seul a droit de vie ou de mort sur l’embryon ou sur la personne). On pensait pourtant qu’à part chez les droitards, c’était un fait acquis qu’il n’y avait pas plus de « mort » provoquée lors d’un avortement qu’on ne peut parler de vie pour un germe de possible au sein d’un utérus… C’est pourtant en reprenant ce parallèle que les députés de l’Assemblée Nationale ont voté en mai pour un projet de loi relatif à l’euthanasie qui criminaliserait les opposants à cette dernière de la même manière que les opposants à l’avortement sont criminalisés. Il existerait par exemple un délit d’entrave qui sanctionnerait le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir. Mais tant que nos vies seront prises dans les rêts du capital, des injonctions à travailler, à produire, à consommer et à respecter les lois, tant que les vies seront cyniquement triées à l’hôpital comme partout ailleurs, il sera nécessaire de s’opposer à l’euthanasie. Dans les pays où cette dernière est légalisée, il existe sans cesse de terribles suicides qui ne correspondent pas à la figure érigée au départ en exemple du malade éclairé et consentant (souvent atteint par la maladie de Charcot – maladie-emblème de tous ceux qui ne l’ont pas mais qui y projettent leurs terreurs) : SDF demandant l’euthanasie au Canada pour ne pas passer l’hiver à la rue, dépression et autres troubles psychiques… avec l’argument de l’inclusion et de l’égal accès au droit, la liste des prétendants à l’euthanasie, même ensuite mineurs, ne fait que s’étendre. En même temps, tant qu’elle ne s’étend pas, comme le rappelle l’actrice et militante britannique sur les droits des handicapés Liz Carr dans son documentaire Better off dead ?, elle dit au niveau de la société toute entière que certains ont le droit de se suicider tandis que d’autres non. Ce double discours n’est évidemment pas sans effets sur ceux qui se savent pouvoir prétendre à une mort acceptée socialement. C’est la légalisation et la banalisation de l’infâme discours des biens-portants qui se disent « Si j’étais à ta place, je préfèrerais mettre un terme à ma vie… », « On doit pouvoir vivre dignement, c’est-à-dire pas comme toi »…
Cette conception mortifère de la liberté n’est en fait qu’un ultime élan de contrôle. Faute de n’avoir pu décider qu’on allait naître, alors maîtrisons au moins la date du terme… Mais que les adeptes du contrôle, que les députés faiseurs de lois pro-euthanasie s’euthanasient tous seuls dans leur Assemblée et nous foutent la paix !

Victoire ?!

Par le jeu des magouilles politiques, la gauche parlementaire ainsi que les syndicats s’applaudissent d’avoir gagné la bataille. Une grande victoire ! Rendez-vous compte, la suspension, pour quelques années, de la réforme des retraites ! Mais de quelle victoire s’agit-il ? Pour quoi, contre quoi ? Certes, pour quelques-uns, c’est toujours ça de temps récupéré sur leur vie, contre le temps travaillé qui devient, au fur et à mesure des années, de plus en plus épuisant et avec un corps toujours plus abîmé. Mais la défaite, c’est de se satisfaire de ça. Une suspension ? Une abrogation ? Une suppression ? Un amendement à la réforme ? Une contre-réforme ? Ces mots qui circulent comme de faux-espoirs enterrent définitivement le mouvement social d’il y a deux ans. Un mouvement qui, malgré les journées de mobilisation très importantes et les formes parfois innovantes, n’a pas su dépasser cette revendication du retrait pour l’étendre à une critique plus général du travail, à la façon dont on traite les corps au travail, à la place des vieux dans notre société, à celles des indésirables, en marge du travail et qu’on cherche à insérer. D’autres revendications avaient émergé, dans les slogans et dans les discussions, dans les assemblées et dans les textes. Mais deux ans plus tard, la victoire devient d’avoir une abrogation à l’assemblée nationale, ou au moins un vote sur le sujet, ou même juste une suspension de quelques mois… Une victoire pour la gauche parlementaire, en somme, une victoire de plus qui peut lui servir à s’ériger en porte-parole des luttes, alors que nous savons bien qu’au fond, elle n’est qu’un aspirant à nous gérer, à nous organiser et surtout à nous empêcher de trop déborder. Notre défaite, c’est de la voir se pavaner en se faisant passer pour la continuation de la révolte.
Il y avait pourtant, comme souvent, une sorte de ras le bol collectif durant les manifestations, contre l’intersyndicale, contre leur stratégie foireuse de grève perlée. Est-ce que tout a été pardonné, oublié en si peu de temps ? Comment peuvent-ils se permettre de recommencer la même chose sans suite à la journée du 10/09 et du 18/09 sans que ceux qui se mobilisent ne leur tombent dessus ? Comment tous les partis de gauche peuvent-ils avoir leur place dans les cortèges après s’être tous dissociés préventivement de la moindre violence des manifestants sur les JT de 20h la veille du premier jour ? Pire encore, comment la France Insoumise, cette gauche populiste et rance, peut-elle capitaliser sur le mépris de la gauche et de la social-démocratie, comme si les mots n’avaient ni sens ni conséquence ? Faut-il rappeler combien la FI n’est qu’un des multiples rejetons de la gauche, avec tout simplement un vernis mi-rouge mi-brun en supplément ?
 Il serait bon de se rappeler que tous les partis, sans aucune exception, veulent qu’on se réveille à 7h du matin pour aller bosser. Tous veulent plus de moyens pour la police, l’armée et construire de nouvelles prisons. Tous veulent redresser l’économie nationale et un retour à la norme après les temps perturbés des contestations. Et les mouvements sociaux manquent cruellement de méfiance envers ceux qui manifestent dans nos cortèges mais qui ont aussi bien une place dans les couloirs des ministères pour négocier leurs postes et leurs carrières. 
Alors pourquoi ? Est-ce que ce serait devant un monde qui vire tellement à droite, que même le milieu anti-autoritaire se met à déléguer tout son espoir dans un nouveau parti socdem et populiste ? Avec la même énergie qu’ils votent Retailleau pour ne pas avoir Bardella ? Comment ne pas voir que cette résignation est l’enterrement de tous nos espoirs révolutionnaires qui rêvent d’un monde débarrassé de l’État et du capitalisme ? 
Cette forme de contestation ne crée que de l’impuissance. Elle aspire notre force, fait de nous des pions qu’on compte pour savoir qui aura plus de temps de parole au perchoir. La séquence actuelle déplace la lutte au niveau des cabinets des ministères. C’est une échelle à laquelle nous n’avons aucune prise et où seuls les politicards peuvent jouer. Mais ce serait un échec d’attendre que se dénouent les blocages parlementaires pour se révolter. Transmettre tous ses espoirs dans l’attente des résultats d’une prochaine élection présidentielle ou législative, c’est renoncer. Au contraire, ce qu’il se passe illustre aussi très bien ce contre quoi nous devons nous révolter, jusqu’à ce que crève la démocratie, qui n’est toujours rien d’autre que l’organisation du pouvoir, et qui ne sert qu’à protéger l’État et le capitalisme.
Nous savons déjà ce que les 1000 prochains ministres proposeront, et nous sommes déjà enragés.

Sortie d’une liasse-compilation des numéros 1 à 10 de Mauvais Sang !

A l’occasion du numéro 10 et après les 3 ans d’existence du journal, nous mettons à disposition une liasse-compilation des 10 premiers numéros du journal, avec une introduction écrite pour l’occasion !

Vous pouvez retrouver des exemplaires physiques dès maintenant à la bibliothèque des Fleurs Arctiques (45 rue du Pré-Saint-Gervais, Paris 19ème).

« On arrive maintenant au dixième numéro de Mauvais Sang. Dix numéros qui s’empilent au fil du temps et sont le germe d’un journal annonçant ses prochaines parutions ; encore très jeune, c’est l’occasion pour nous de réfléchir sur ses perspectives, et de réaffirmer des éléments essentiels à son existence. Mais voilà, on a pas envie d’en faire une pièce de musée. Une collection morte sous le poids de sa propre poussière. Les numéros sont là pour agiter, pour vivifier et diffuser quelques refus de plier face à ce monde lourd d’apathie, de misère et d’indifférence. Ce qui compte, ce sont les conflits et perspectives que ces numéros pourraient faire naître ; l’encre est sèche, mais le sang est toujours noir, et mauvais jusqu’à l’os.

C’est dans cette vivacité que le journal trouve son intérêt car elle signifie penser le présent en rapport avec le passé. Mauvais Sang ne se veut pas comme un pur outil de diffusion d’actualités, prisonnier du présent sans distance critique, sans aspiration à aller au-delà de l’époque actuelle et de ses écueils stériles. Mais à l’inverse puiser dans le passé comme nous le faisons parfois, signifie pour nous partir à la recherche de luttes desquelles s’inspirer tout en rejetant la nostalgie d’un âge d’or dont la perspective révolutionnaire serait aujourd’hui morte et enterrée. C’est toujours la liberté bien vivante qu’on a en ligne de mire quand on choisit sur quoi écrire ; la pratique, la théorie, le passé et le présent ensemble pour un futur imprédictible.

Cette liberté se retrouve aussi dans son style, c’est-à-dire dans l’attention porté tant sur la forme que sur le fond de nos propos. Concernant le fond de la réflexion politique, il existe aujourd’hui une déplorable tendance, un réflexe, une incapacité à s’extraire de l’appareil idéologique de la fac et de la sociologie ou des discours policés de la politique de partis. S’ensuivent des textes arides de tout désir dont la forme est autant indigeste qu’ils tètent leur bout de théorie racorni depuis des décennies, ou des élucubrations qui n’ont de réflexion que des considérations formelles aussi insipides que leur absence de réflexion sur le fond. Mauvais Sang se veut aller au-delà de cette impasse où écrire de la théorie politique signifie tantôt réciter, tantôt barboter dans des courants de pensée inoffensifs pour l’existant. Nous pensons nécessaires de ne pas laisser le fond à des chercheurs, des apparatchiks, des journalistes ou tout autre observateur, et qu’il est indispensable que le fond soit produit par ceux qui confrontent la réflexion avec le réel, par ceux qui luttent.

Pour ces raisons que nous avons évoquées ici, Mauvais Sang continue, et est destiné à être diffusé là où le vent le portera. Nous espérons qu’il inspirera de nombreuses autres initiatives pour porter partout la conflictualité et fissurer l’existant, comme pourquoi pas, par exemple, d’autres journaux avec lesquels faire vivre le débat, sortir de la léthargie qui nous entoure et en finir enfin avec le vieux monde.

Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. »

Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme.

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Mauvais Sang numéro 10 / Édito

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La fin de l’année 2024 a connu plusieurs événements tragiques ou, au contraire, porteurs d’espoirs.

A Mayotte, le cyclone Chido a tout ravagé sur son passage. Des milliers de personnes, malgré un décompte flou et difficile, semblent avoir été emportées par des torrents de boue et de détritus, et de violents vents ont détruit les habitats précaires de l’île, dont le bidonville Kaweni, le plus grand de France, entièrement dévasté. Ces dégâts considérables humains et matériels ne sont pas la cause d’une hasardeuse «  catastrophe naturelle  », mais bien les résultats de la gestion des populations par l’État et le Capital, qu’un aléa naturel aura ici révélé, comme cela a pu aussi être le cas dans la région de Valence fin octobre, touchée par des inondations records, faisant plus de 200 morts, notamment en raison d’une gestion catastrophique de l’alerte face au risque d’inondation.

C’est bien le système capitaliste protégé par l’État et sa gestion qui a conduit des dizaines de milliers de pauvres à s’entasser dans de fragiles cabanes de tôles à Mayotte ou à être privés d’eau courante, d’électricité ou de réseau (cruciaux après le passage du cyclone). C’est bien la xénophobie de l’État français qui a provoqué l’entassement des sans-papiers dans ces bidonvilles. Ces mêmes sans-papiers qui n’ont pas rejoint les vétustes centres d’hébergements d’urgence, de peur que les alertes soient un piège pour les regrouper et les expulser, illustrant ici de manière tragique le harcèlement de l’État envers les migrants illégaux.

L’État, face à la colère des habitants mahorais, a réagi par une aide d’urgence souvent inatteignable pour les habitants les plus reculés, puis par des mesures sécuritaires  : couvre-feu pour empêcher les pillages, loi pour limiter la vente de tôle aux professionnels ou aux personnes ayant un justificatif de domicile, et nouvelles mesures pour lutter contre les clandestins. Le 1er janvier 2025, l’État a organisé le « rapatriement humanitaire  » des clandestins comoriens vers les Comores, en prenant bien soin de relever identité et empreintes.

Face à la détresse et à l’urgence, comme toujours, l’État organise le «  retour à la normale  »  : endiguer les contestations et surtout chasser les indésirables qui sont sommés de faire profil bas et de se cacher… jusqu’au prochain désastre. Mais face aux bilans comptables, face à l’impératif de la continuité économique, face à la violence du pouvoir, ces moments sont aussi des moments d’instabilité où la révolte peut prendre forme  : on a ainsi vu les mahorais fustiger les représentants de l’État lors de leur venue ou les valenciens accueillir le roi et la reine d’Espagne avec des jets de boue ou s’affronter avec la police qui protégeait l’Hôtel de ville.

La fin de l’année 2024 a tout de même amené deux évènements d’ampleur réjouissants : du côté de la Syrie, c’est la chute du régime Assad qui secoue et ouvre autant de prisons que de potentialités nouvelles ; et du côté des Etats-Unis, c’est l’assassinat en pleine rue du patron de UnitedHealthcare, plus grosse entreprise mondiale d’assurance santé privé, qui rappelle aux roitelets qu’ils ne sont peut-être pas si tranquilles qu’ils n’ont l’air de le croire. Le mouvement de soutien international qu’a reçu Luigi Mangione, la personne arrêtée et accusée de cet acte par la justice, peut nous donner de l’espoir. Pour être solidaire de la révolte, rien de mieux que la propager, dès que possible  !

En Syrie comme ailleurs, à bas les prochains chefs, empêchons les de faire perdurer leurs pouvoirs de manière diversifiée et protéiforme. «A bas le prochain président !», c’est un tag syrien qui a circulé en photo sur les réseaux sociaux et qui nous semble plein de sagesse révolutionnaire. Il est évident que la chute d’Assad n’est pas réductible au seul impact de HTS, groupe rebelle islamiste, qui, dans la localité d’Idlib, réprimait les manifestants il y a encore peu, et semble vouloir installer un pouvoir rigoriste sur le territoire. Après plus de 10 ans de guerre civile, il y a fort à parier (et à espérer  !) que les habitants de Syrie ne se laisseront pas dominer par un nouveau dictateur, ni par un énième groupe conservateur au pouvoir.

Du côté du travaillisme, le 1er janvier 2025, c’est en France l’entrée en vigueur de la généralisation de la loi Plein Emploi et du volet concernant le RSA. A compter d’aujourd’hui, tous les RSAstes (et leur conjoints) sont inscrits à France Travail, sommés de justifier 15 heures d’activités hebdomadaires, sous peine de suspension des allocations ou de radiation. Contre ces mesures destinées à nous insérer de force dans le marché de l’emploi, à travailler à notre propre mise au travail, à former et conformer les récalcitrants  : esquivons la réinsertion, et organisons-nous pour lutter collectivement contre la machine à travailler  !

Mauvais Sang espère une nouvelle année agitée, en révoltes, en émeutes, en dépassements des possibles impasses que pourraient nous tendre les récupérateurs de tous bords. Sus à la droite, sus à la gauche, sus au centre  : il est grand temps de sortir de ces pièges qui n’intéressent personne, pour enfin mettre l’économie, la gestion, la morale et le contrôle sens dessus dessous.

Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.

Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme.

En Iran comme partout, vive la révolution

Après 2022 et, notamment, la mort de Mahsa Amini, une situation insurrectionnelle a embrasé l’Iran et a fait naître, pour beaucoup (là-bas et ailleurs), la perspective d’une révolution sociale (nous revenons sur cela dans l’article « Mort aux dictateurs et à la police des mœurs » écrit dans Mauvais Sang numéro 4). Après plusieurs centaines de personnes tuées, de nombreuses exécutions en lien avec le soulèvement, des viols/tortures destinées à intimider et réprimer, mais aussi, de nombreux commissariats attaqués, des incendies et actes de sabotage, des attaques de prisons, des émeutes… les perspectives insurrectionnelles ont pris du plomb dans l’aile, mais ne sont pas si loin dans les souvenirs.
Le 2 novembre 2024, une vidéo est largement repartagée sur les réseaux sociaux, montrant une étudiante de l’Université islamique de Téhéran, Ahou Daryaei, marchant en sous-vêtement, les bras croisés devant la poitrine, défiant publiquement par ce geste les lois morales et la police des mœurs.
Elle a décidé d’enlever ses vêtements après avoir été harcelé en raison du port non-réglementaire de son hijab par la milice islamiste Basij, une organisation paramilitaire, qui, en plus de garantir la sécurité intérieure et la répression des mouvements sociaux en appliquant notamment la torture, s’occupe de la « prohibition du vice » et de la « promotion de la vertu » au sein du pays.
Rapidement, la jeune femme a été arrêtée et enfermée. Comme il est coutume de qualifier de « mentalement instables » les femmes s’opposant aux mœurs religieuses et patriarcales du régime afin de nier la nature contestataire de leurs actes, elle a été déclarée “malade” et placée en hôpital psychiatrique. Ahou Daryaei aurait depuis été relâchée et serait, maintenant, prise en charge par sa famille. Les autorités ont pourtant annoncé qu’elles ne poursuivraient pas en justice l’étudiante, sûrement en raison de leur crainte que cela provoque d’autres soulèvements à grande échelle, montrant par là que la révolte des iraniens et des iraniennes a laissé des traces considérables, même au sein du pouvoir.
De nombreuses femmes ont brûlé et enlevé leurs voiles publiquement depuis la mort de Mahsa Amini. Nous pouvons voir ces pratiques comme une critique de l’ingérence de plus en plus forte de la religion dans le contrôle social, mais aussi comme une critique de la religion elle-même, qui est, dans une théocratie comme l’Iran, au fondement même de l’Etat et de son fonctionnement.
Contre ces révoltes, le pouvoir iranien continue son offensive contre la liberté des femmes : il a annoncé une nouvelle loi extrêmement stricte à propos du port du voile, qui prévoit de contrôler, via vidéosurveillance si les femmes portent bien leur voile, sublime obscurantisme hi-tech, et a annoncé, un mois après l’acte d’Ahou Daryaei, l’ouverture d’une “clinique de traitement” pour les femmes refusant de porter le voile.
Comme lors de la mort de Mahsa Amini, l’acte de révolte de l’étudiante a été, dès la publication de la vidéo, la cible de diverses récupérations politiques de tout bord. Ce qui pourrait être compris dans un contexte bien matériel de révolte contre un État et une religion qui exploite et opprime, a été réduit ici à un « débat sur le voile ». La droite, et parmi elle, les féministes identitaires (Nemesis, Dora Moutot, Marguerite Stern, pour citer leurs petites stars) en ont profité pour faire leur diatribes anti-immigration, raciste et sécuritaire.
Du côté des féministes de droite et de gauche plus libérales, c’est à une véritable fétichisation du geste de Ahou Daryaei que nous assistons. La femme devient une « icône », une « martyre », ou un « symbole » des valeurs honorables de la République et de la si grande et belle Démocratie. C’est que la récupération ne coûte pas grand chose et rapporte beaucoup : on se solidarise avec ce qui arrange notre agenda politique à peu de frais. Ces discours féministes sont des postures confortables qui ne remettent jamais en question l’existant (étatique et religieux) et ce qu’il comporte d’exploitations, de normes. Ils désignent au contraire bien souvent, avec un paternalisme raciste, une misogynie qui n’existerait que “là-bas”, dans les “pays musulmans” et qui leur sert d’épouvantail pour consolider et justifier leurs idéaux démocratiques.
Ahou Daryaei, l’étudiante en littérature française (« fille des sciences et de la recherche » selon une tribune signée par de nombreux universitaires en novembre 2024 dans Le Point qui exigent sa libération car elle respecterait les valeurs de l’héritage voltairien… : « L’honneur de la France exige que cette étudiante soit protégée par notre pays qu’elle a honoré en choisissant d’étudier sa langue. », « Est-ce un hasard qu’elle soit étudiante doctorante en littérature française ; une littérature reconnue internationalement notamment pour ses auteurs défenseurs de la liberté de conscience ? ») peut ainsi être ajoutée au panthéon des insoumises qui arrangent les défenseurs des valeurs de la République…
La récupération politique est l’inverse de la solidarité ! Abstraire ainsi le geste de Ahou Daryaei c’est le vider de toute sa portée subversive.
De l’autre côté du spectre politique, les influenceurs campistes de gauche dont certains pour qui l’Iran représente un allié objectif dans la guerre contre Israël, ont sauté sur l’occasion pour sortir leur soupe anti-impérialiste réactionnaire. Les prises de position de Youssef Boussoumah, militant du media d’opinion Paroles d’Honneur parlent d’elles-mêmes : « C’est vrai qu’au moment où son pays risque une guerre nucléaire avec l’arrivée possible de Trump pour s’être opposé au génocide de Gaza il était de la plus haute importance d’aller se mettre à demi nu, c’était une belle opportunité de sa part une stratégie gagnante »… Et de défendre l’Iran face à Ahou Daryaei, elle qui aurait, semble-t-il, décidément bien préparé son coup pour plaire aux médias occidentaux « en se dénudant »… ? Magnifique mélange de théories conspi et de misogynie ! La vidéo du même média intitulée « Femmes iraniennes : le baiser empoisonné de l’Occident » distille sensiblement le même discours. Le discours anti-impérialiste, que l’on connaît bien, déploie en filigrane, son chantage habituel. « Bien sûr, on peut critiquer l’Iran… mais… » : mais cette critique serait « au prix des droits des femmes du Sud » selon eux. Oui, car certains États sont plus intouchables que d’autres. Pour les campistes, exprimer sa solidarité avec les femmes révoltées en Iran qui luttent pour leur liberté se ferait au détriment de ces mêmes femmes. Cela participerait à discréditer le régime iranien, ô combien important dans la lutte contre « l’impérialisme occidental ». Pour les bouteldjistes, il faudrait en réalité d’abord critiquer le blocus sur l’Iran avant de pouvoir dire quoi que ce soit sur sa politique intérieure : d’abord critiquer les États-Unis, pour pouvoir critiquer le gouvernement iranien, pour pouvoir critiquer la police des mœurs et enfin pour pouvoir critiquer la religion ? Oups, non, critiquer la religion, ça, jamais.
Gommer les révoltes internes, fermer les yeux devant la réalité concrète du pouvoir religieux subi au quotidien par les habitants de tout un pays, afin de soutenir des états réactionnaires, voilà ce qu’a toujours produit le manichéisme idéologique, d’un côté comme de l’autre. Dans ce cas précis, cette rhétorique se fait au détriment des iraniennes, et de surcroît, de tous les iraniens. Toute perspective internationaliste est enterrée devant la loi du campisme.
Cette attitude qui consiste à monnayer en permanence à qui s’adresse la solidarité, et sous quelles conditions, nous la refusons. Il nous semble nécessaire que les anti-autoritaires aient quelque chose à dire de ce qu’il se passe en Iran, des résurgences, multiples, des soulèvements qui ont eu lieu ces dernières années, et qui risqueraient bien d’enflammer à nouveau le pays. Cela se fera sans l’accord de ceux qui pensent détenir le monopole sur ces sujets, cela se fera, en même temps, en luttant contre tous les Etats du monde.
D’abord, parce que cet acte s’inscrit dans un contexte de lutte sociale très offensive, il n’est pas isolé. Ensuite car il critique, en lui-même, la religion et la morale, enfin, car cette femme, comme d’autres, a subi et peut encore subir la répression et la psychiatrisation, l’enfermement, peut-être même la torture. Cette solidarité dépasse toutes les frontières, et elle se fera sans compromis.
Nous ne pouvons qu’espérer que le geste d’Ahou Daryaei en inspire d’autres, ce qui semble être déjà le cas : début 2025, plusieurs vidéos montrant des actes de contestation face aux lois morales ont été publiées, montrent des étudiantes de Téhéran chassant une femme de la police des mœurs ou une femme dans un aéroport décoiffant un mollah qui l’avait réprimandée. Ces témoignages ne sont sûrement qu’une partie des multiples formes de résistance au rigorisme qui prennent place chaque jour en Iran.
Contre toutes les formes d’enfermement, tous les États et toutes les religions : solidarité avec celles et ceux, qui, au péril de leur vie et de leur liberté, luttent avec les moyens qu’il leur reste.
Mort à la police des mœurs !

Singeons-les !

Le 18 novembre 2024, quelques centaines de singes se sont échappés de leur enclos dans la ville thaïlandaise de Lopburi, connue pour sa grande population simiesque. Ils ont envahi un commissariat et ont contraint les flics de s’y barricader. Ça s’applaudit ! Enfermés dans des cages sordides et spécialement conçues pour neutraliser ces populations « indisciplinées », ces singes font à la fois la fortune touristique de la ville, et son infortune quand il s’agit de contrôle. Déjà durant le Covid, avaient été bordélisés nombre de magasins à cause de la faim, faute de touristes pour apporter de la nourriture aux singes.

Depuis quatre ans, ce sont aussi des orques dont on entend parler à Gibraltar et ailleurs parce qu’elles perpétuent des attaques systématiques sur les yachts qui croisent leur chemin. Après une longue période où leurs agissements ont été considérés comme de la vengeance naturelle, il est apparu courant 2023 une nouvelle hypothèse selon laquelle les orques n’attaquaient en fait nullement les hommes, mais jouaient avec eux lorsqu’elles déglinguaient les navires.

Dans les médias, les singes quant à eux n’ont pas non plus de motif clairement identifié. Ils « sèment le chaos » et « font régner la terreur » sur la ville. Des bêtes furieuses en somme, mues par un instinct destructeur irrationnel que l’on tranquillise à coup d’anesthésiants, de cages, de pièges et de brigades antimacaques.

Que ce soit par jeu, par soif de liberté, par appétit, par vengeance, tout cela c’est de la violence gratuite qui ébranle l’orgueil et la volonté de contrôle sur l’existant, et ça, ça fait plaisir. N’en déplaise à Descartes qui voulait l’homme « maître et possesseur de la nature », la sauvagerie nous met par terre en mode coup-de-tête balayette en moins de temps qu’il le faut pour le dire, et cela n’a rien à voir avec une quelconque intention ou retour de bâton de la Nature, comme si elle existait, comme si l’homme était assez important pour ça.

La vie a déjà survécu à plusieurs extinctions de masse. Les cafards peuvent apparemment résister à une déflagration nucléaire. Il a même été récemment découvert qu’il existe une biosphère profonde : tout un écosystème qui se développe dans le manteau terrestre, avec des organismes plurimillénaires capables de résister à des conditions environnementales impropres à toute forme de vie connue jusqu’alors, se nourrissant de sulfure et pouvant hiberner indéfiniment. Donc la vie fait et fera son chemin avec ou sans nous. S’il y a bien un truc en revanche qui distingue l’homme du reste ce n’est pas sa supériorité ou sa responsabilité, c’est sa capacité à enfermer tout et n’importe quoi. Alors plutôt que de continuer à mettre en cage, tantôt pour protéger, tantôt pour asservir, pourquoi ne pas plutôt se joindre à la fête et semer le chaos ? Que ce soit pour s’amuser, pour manger, ou les deux – parce qu’on peut jouer avec la nourriture, les orques le savent – que ce soit par volition ou par nécessité, il y a toujours un intérêt à être têtu comme un âne, à refuser de monter sur ces grands chevaux policiers, comme d’être écrasé sous leurs fers en permanence ; à refuser l’ordre politique et scientifique par lequel on exploite ou préserve selon les motifs du pouvoir. Dans les deux cas c’est se voiler la face sur les forces archaïques qui meuvent aveuglément l’évolution de l’existant. C’est faire de la raison humaine l’aînée là où elle n’est que la cadette ; c’est postuler une toute-puissance de la rationalité, et ainsi vouloir jouer des gros bras face à la mère Chaos et à son engeance qui demeure toujours en partie incompréhensible. Des singes qui n’acceptent pas de vivre en cage, qui volent les passants, pillent des commerçants, et repoussent des flics sans présenter de motivation explicite et clairement revendiquée, non mais on aura tout vu ! Des orques qui bousillent des bateaux, menacent des êtres humains de noyade, tout ça juste pour s’amuser ! C’est pas sérieux ! C’est inconcevable ! Quand on lutte il faut des motifs un tant soit peu rationnels et intégrables dans un sens général structuré et normé, sinon ce serait l’anarchie…

Justement, il est peut-être temps pour nous de faire de même, d’arrêter de maintenir ou de subir l’ordre, ne pas se contenter de faire le pied de grue comme on fait un piquet de grève et d’accepter de ramener dans l’arène le chaos qui rend l’existence si belle et terrible à la fois, pour ne pas finir domestiqués.

Pour la révolution, le chaos, et l’anarchie.

Quelle heure est-il ?

Une heure de taff, une heure de classe, une heure de colle, une heure de réunion, une heure de métro, une heure de courses, une heure devant son ordi à remplir des papiers de merde, une heure de manif à écouter des slogans vides, une heure d’antidépresseur, une heure de galère, une heure d’angoisse dans son lit, une heure de mélancolie. Une heure d’ennui.

Pour certains, une heure à enfermer, une heure à bastonner, une heure à réprimer, une heure à expulser, une heure à punir, une heure à convertir, une heure à flageller, une heure à normaliser, une heure à vendre et à acheter, une heure à pacifier, une heure à contrôler.
Pour d’autres, une heure de GAV, une heure de taule, une heure de camisole, une heure de cavale, une heure de fuite, une heure de flip’. Une heure insupportable.

Une heure à se balader, à croiser ceux et celles qui dorment par terre sous -5 degrés, ceux qui chapardent ici et là, histoire de pouvoir survivre et manger, ceux sous les ponts pour un mauvais bout d’papier, tous ceux qui rognent l’os que cette société a bien voulu leur laisser. Une heure à croiser la misère de ce monde terne et poussiéreux. Une heure à se demander pourquoi on devrait continuer à le supporter. Une heure à se dire qu’on devrait pas l’accepter. Une heure à se répéter qu’un jour ou l’autre, on enverra tout valdinguer.


Parfois, aussi, une heure à rêver, une heure à discuter, une heure à rigoler, une heure à désirer, une heure à baiser, une heure à s’évader, une heure d’amitié, une heure à aimer.
Une heure qu’on voudrait ne pas voir s’arrêter.

Camarades, nous ne sommes que de passage, notre temps n’est pas éternel. Et il passe trop vite pour le passer à nous lamenter.

Allons-nous nous résigner, devenir vieux, et finir par raconter au coin du feu nos espoirs perdus et ce qui aurait pu être si nous l’avions fait ?

Soyons les explorateurs de nos possibles, soyons des aventuriers, des brigands, des vagabonds sur la grande route qui mène tout droit vers l’inconnu. Soyons les joyeux destructeurs de ce monde et les fiévreux faiseurs d’un autre monde, un monde où il n’y aurait même plus d’heures !

Quelle heure est-il ?
Il est grand temps de se révolter !