
Alors que les personnes âgées sont entassées dans des EHPAD aux conditions de vie souvent pitoyables et moribondes ; alors que justement des discours anti-vieux se répandent au fil des années, notamment parmi les jeunes générations à qui on fait croire que ce sont les générations d’avant qui sont responsables de la misère écologique et non le capitalisme et ses industries ; alors que le travaillisme ressert ses vis partout où France Travail contrôle allocataires et RSAstes ; alors que les improductifs sont toujours plus fliqués ; alors que les maladies et accidents du travail viennent abîmer chaque jour davantage de vies ; alors que se mettre en arrêt maladie devient de plus en plus compliqué… on voudrait nous faire croire qu’il y aurait quelque part une sorte de liberté à mourir que l’État – cet État même qui nous pourrit la vie – viendrait nous octroyer gracieusement ? Mais de quelle liberté parle-t-on ? Celle de choisir librement de ne pas coûter un lit d’hôpital de plus à la société ? Celle de choisir librement de ne pas dépendre d’autrui ? Celle de choisir librement de sauver fictivement le PIB de la dette publique de ce putain de pays en renonçant à sa retraite, à des aides, etc ? Mais que raconte donc cette gauche qui vient nous dire que le droit à l’euthanasie est le nouveau progrès sociétal, à la suite du droit à l’avortement ? Quelle est cette arnaque qui n’arrange au fond que le capitalisme ? Qui a confiance dans l’État au point de lui confier un pouvoir de législation sur la mort ?
La gestion désastreuse de la pandémie de Covid, avec son manque de lit et son triste tri des vies effectué, aurait pourtant de quoi nous mettre la puce à l’oreille. La gestion à flux tendu des malades est toujours sur le fil de son débordement faisant appel aux pires « sauvetages » en fuite en avant du capitalisme : hiérarchisation des patients selon de multiples critères (improductifs ou non, nationaux ou non), et vautrage de ce fait dans un eugénisme parfois quasi cyniquement assumé, ainsi que dans une xénophobie crasse lorsqu’il s’agit d’écarter du soin ceux qui n’ont pas les bons papiers.
Mais ce qui nous surprend le plus dans ce fantasme libéral qu’a la gauche d’une émancipation par la mort médicale (et nous ne faisons volontairement pas de différence entre l’euthanasie et le suicide assisté ici), c’est que c’est cette même gauche qui nous alerte chaque jour contre « la fascisation du monde » et contre son « néolibéralisme ». Dans ce cas, à Jour-X avant le fascisme, ne serait-il pas plus raisonnable de s’abstenir de donner à un État fasciste en puissance les moyens légaux de tuer ses indésirables ?
Alors qu’un mauvais air de panique contre le vieillissement de la population circule, d’angoisse démographique, qui souvent contribue au renouvellement de théories eugénistes et réactionnaires, il serait salutaire d’empêcher que l’euthanasie vienne répondre à cette angoisse. Qui veut d’un monde où la mort est une solution démographique ? Les ennemis de l’émancipation, les gestionnaires fossoyeurs de désirs, de soin et de révolte.
Mais fallacieusement, l’euthanasie est présentée comme la suite logique du « mon corps, mon choix » par de nombreux adeptes souvent progressistes de cet arsenal mortifère. A l’inverse, ce parallèle est également tracé par la droite religieuse et réactionnaire qui s’oppose à l’euthanasie de la même manière qu’elle s’oppose à l’avortement (gloire à Dieu qui seul a droit de vie ou de mort sur l’embryon ou sur la personne). On pensait pourtant qu’à part chez les droitards, c’était un fait acquis qu’il n’y avait pas plus de « mort » provoquée lors d’un avortement qu’on ne peut parler de vie pour un germe de possible au sein d’un utérus… C’est pourtant en reprenant ce parallèle que les députés de l’Assemblée Nationale ont voté en mai pour un projet de loi relatif à l’euthanasie qui criminaliserait les opposants à cette dernière de la même manière que les opposants à l’avortement sont criminalisés. Il existerait par exemple un délit d’entrave qui sanctionnerait le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir. Mais tant que nos vies seront prises dans les rêts du capital, des injonctions à travailler, à produire, à consommer et à respecter les lois, tant que les vies seront cyniquement triées à l’hôpital comme partout ailleurs, il sera nécessaire de s’opposer à l’euthanasie. Dans les pays où cette dernière est légalisée, il existe sans cesse de terribles suicides qui ne correspondent pas à la figure érigée au départ en exemple du malade éclairé et consentant (souvent atteint par la maladie de Charcot – maladie-emblème de tous ceux qui ne l’ont pas mais qui y projettent leurs terreurs) : SDF demandant l’euthanasie au Canada pour ne pas passer l’hiver à la rue, dépression et autres troubles psychiques… avec l’argument de l’inclusion et de l’égal accès au droit, la liste des prétendants à l’euthanasie, même ensuite mineurs, ne fait que s’étendre. En même temps, tant qu’elle ne s’étend pas, comme le rappelle l’actrice et militante britannique sur les droits des handicapés Liz Carr dans son documentaire Better off dead ?, elle dit au niveau de la société toute entière que certains ont le droit de se suicider tandis que d’autres non. Ce double discours n’est évidemment pas sans effets sur ceux qui se savent pouvoir prétendre à une mort acceptée socialement. C’est la légalisation et la banalisation de l’infâme discours des biens-portants qui se disent « Si j’étais à ta place, je préfèrerais mettre un terme à ma vie… », « On doit pouvoir vivre dignement, c’est-à-dire pas comme toi »…
Cette conception mortifère de la liberté n’est en fait qu’un ultime élan de contrôle. Faute de n’avoir pu décider qu’on allait naître, alors maîtrisons au moins la date du terme… Mais que les adeptes du contrôle, que les députés faiseurs de lois pro-euthanasie s’euthanasient tous seuls dans leur Assemblée et nous foutent la paix !