Victoire ?!

Par le jeu des magouilles politiques, la gauche parlementaire ainsi que les syndicats s’applaudissent d’avoir gagné la bataille. Une grande victoire ! Rendez-vous compte, la suspension, pour quelques années, de la réforme des retraites ! Mais de quelle victoire s’agit-il ? Pour quoi, contre quoi ? Certes, pour quelques-uns, c’est toujours ça de temps récupéré sur leur vie, contre le temps travaillé qui devient, au fur et à mesure des années, de plus en plus épuisant et avec un corps toujours plus abîmé. Mais la défaite, c’est de se satisfaire de ça. Une suspension ? Une abrogation ? Une suppression ? Un amendement à la réforme ? Une contre-réforme ? Ces mots qui circulent comme de faux-espoirs enterrent définitivement le mouvement social d’il y a deux ans. Un mouvement qui, malgré les journées de mobilisation très importantes et les formes parfois innovantes, n’a pas su dépasser cette revendication du retrait pour l’étendre à une critique plus général du travail, à la façon dont on traite les corps au travail, à la place des vieux dans notre société, à celles des indésirables, en marge du travail et qu’on cherche à insérer. D’autres revendications avaient émergé, dans les slogans et dans les discussions, dans les assemblées et dans les textes. Mais deux ans plus tard, la victoire devient d’avoir une abrogation à l’assemblée nationale, ou au moins un vote sur le sujet, ou même juste une suspension de quelques mois… Une victoire pour la gauche parlementaire, en somme, une victoire de plus qui peut lui servir à s’ériger en porte-parole des luttes, alors que nous savons bien qu’au fond, elle n’est qu’un aspirant à nous gérer, à nous organiser et surtout à nous empêcher de trop déborder. Notre défaite, c’est de la voir se pavaner en se faisant passer pour la continuation de la révolte.
Il y avait pourtant, comme souvent, une sorte de ras le bol collectif durant les manifestations, contre l’intersyndicale, contre leur stratégie foireuse de grève perlée. Est-ce que tout a été pardonné, oublié en si peu de temps ? Comment peuvent-ils se permettre de recommencer la même chose sans suite à la journée du 10/09 et du 18/09 sans que ceux qui se mobilisent ne leur tombent dessus ? Comment tous les partis de gauche peuvent-ils avoir leur place dans les cortèges après s’être tous dissociés préventivement de la moindre violence des manifestants sur les JT de 20h la veille du premier jour ? Pire encore, comment la France Insoumise, cette gauche populiste et rance, peut-elle capitaliser sur le mépris de la gauche et de la social-démocratie, comme si les mots n’avaient ni sens ni conséquence ? Faut-il rappeler combien la FI n’est qu’un des multiples rejetons de la gauche, avec tout simplement un vernis mi-rouge mi-brun en supplément ?
 Il serait bon de se rappeler que tous les partis, sans aucune exception, veulent qu’on se réveille à 7h du matin pour aller bosser. Tous veulent plus de moyens pour la police, l’armée et construire de nouvelles prisons. Tous veulent redresser l’économie nationale et un retour à la norme après les temps perturbés des contestations. Et les mouvements sociaux manquent cruellement de méfiance envers ceux qui manifestent dans nos cortèges mais qui ont aussi bien une place dans les couloirs des ministères pour négocier leurs postes et leurs carrières. 
Alors pourquoi ? Est-ce que ce serait devant un monde qui vire tellement à droite, que même le milieu anti-autoritaire se met à déléguer tout son espoir dans un nouveau parti socdem et populiste ? Avec la même énergie qu’ils votent Retailleau pour ne pas avoir Bardella ? Comment ne pas voir que cette résignation est l’enterrement de tous nos espoirs révolutionnaires qui rêvent d’un monde débarrassé de l’État et du capitalisme ? 
Cette forme de contestation ne crée que de l’impuissance. Elle aspire notre force, fait de nous des pions qu’on compte pour savoir qui aura plus de temps de parole au perchoir. La séquence actuelle déplace la lutte au niveau des cabinets des ministères. C’est une échelle à laquelle nous n’avons aucune prise et où seuls les politicards peuvent jouer. Mais ce serait un échec d’attendre que se dénouent les blocages parlementaires pour se révolter. Transmettre tous ses espoirs dans l’attente des résultats d’une prochaine élection présidentielle ou législative, c’est renoncer. Au contraire, ce qu’il se passe illustre aussi très bien ce contre quoi nous devons nous révolter, jusqu’à ce que crève la démocratie, qui n’est toujours rien d’autre que l’organisation du pouvoir, et qui ne sert qu’à protéger l’État et le capitalisme.
Nous savons déjà ce que les 1000 prochains ministres proposeront, et nous sommes déjà enragés.