Salut la psychothérapie institutionnelle ?

Pour Didier et pour Claire, pour tous les suicidés de la psychiatrie pour qui on aurait voulu un monde plus grand

« L’ARS tient à saluer la contribution historique de La Borde et de La Chesnaie à la psychiatrie française »… (Communiqué de l’ARS Centre Val de Loire du 17 octobre 2025). Salut, c’est-à-dire au revoir, ciao, à jamais, c’est fini, refermons sans histoire la longue expérience de psychothérapie institutionnelle de La Borde et de La Chesnaie, ficelons d’après des décisions d’« experts en santé mentale » « le non-renouvellement de l’autorisation d’activité de psychiatrie », car l’hospitalisation longue coûte cher, bien trop cher, car on ne voit pas bien où ça mène, cette tambouille de soignants et de soignés, ce processus collectif sans trop de bornes spatiales et temporelles, cet en dehors de la fameuse « Cité » dont on dit qu’il faut absolument faire partie. Ne serait-ce pas un insigne honneur que d’être assigné à un ESAT mortifère et débilitant plutôt que de déambuler librement dans une clinique qui n’a même pas de portique de sécurité ? Un insigne honneur que de conditionner l’accès à son logement médico-social à la preuve permanente de sa bonne obéissance au contrôle social plutôt que d’occuper plusieurs mois, voir plusieurs années, voire plusieurs décennies, un lit financé par la sécurité sociale ? Mais qui donc ne rêve pas de cette Cité pleine de travail, d’atomisation, de contrôle fourré au contrôle, de normes et d’ordre quotidien ? La Cité est « ouverte », elle accueillera dans sa rue, sur ses trottoirs, dans ses centres d’hébergement d’urgence, dans ses urgences psychiatriques maltraitantes, toutes les vies qui ne trouvent pas d’« asile » au sens où Fernand Deligny l’employait. Il est vrai qu’il n’existe pas d’ailleurs du capitalisme, on le voit tous les jours, mais La Borde comme La Chesnaie sont néanmoins des tentatives de longue date de forcer un coin du monde à faire sa place à l’improductif, à la persistance de l’anormalité, de la folie, et à leurs rythmes singuliers. C’est justement cet en dehors des injonctions de la Cité qui est attaqué par la décision de l’ARS d’octobre. La Cité avance un peu plus ses pions dans les deux dynamiques actuelles : celle de la capitalisation du soin (en réduisant drastiquement l’hospitalisation longue pour préférer une gestion à flux tendu des malades) et celle, qui concerne tous les révolutionnaires, de la liquidation de l’héritage de 68. La psychothérapie institutionnelle est en effet indissociable des aspirations anti-autoritaires et libertaires de la période qui a suivi la seconde guerre mondiale. C’est l’institution figée, fixée en hiérarchies, en spécialisations et en routines inquestionnables qui est saisie comme « malade », productrice de camps niant toute singularité (le camp des soignants, lui-même distinct entre camp des médecins psychiatres en chef et camp des infirmiers, aides-soignants, cuisiniers, etc, face au camp des patients réduits à des diagnostics). Pour lutter contre cet encampement mortifère (que n’importe quelle institution, psychiatrique ou non, produit nécessairement), la mise en commun du souci du soin est pratiquée à travers de nombreuses manières de s’organiser collectivement contre la division du travail. Mais l’attaque présente de l’ARS contre La Borde et La Chesnaie nous rappelle qu’il ne saurait exister longtemps de place faite à l’improductif et à un asile soignant sans batailles et révoltes permanentes contre les rouages du contrôle social et du capitalisme. Si du côté de La Borde il semblerait qu’un premier temps de contestation et de recours juridiques s’ouvrent, il ne tient qu’à nous, nous qui sommes ailleurs, de nous emparer d’un début de lutte et de déborder ce cadre en rappelant combien personne ne veut vivre dans la Cité aux conditions du capitalisme. La misère du champ médico-social nous est sans cesse rappelée, notamment en ces jours de grève et de mobilisations qui n’ont de chance d’être vivifiants que s’ils sont rejoints par-delà les spécialisations dans le travail. Par la lutte et par la révolte, poursuivons la mise en commun du souci du soin, qui que l’on soit, où que l’on soit. Contrairement à ce que semblerait avancer mensongèrement le communiqué de l’ARS en question, les cliniques de La Borde et de La Chesnaie ne sont pas des hôpitaux fermés sur eux-mêmes dans une dynamique asilaire de long terme, dont il faudrait extraire des pensionnaires entravés dans le développement de liens autres. Il y a bien plus de liens qui peuvent fourmiller dans ces deux cliniques que dans l’atomisation quotidienne de la normalité des villes. Il ne tient également qu’à nous de proposer davantage de circulations entre les luttes et les lieux de soin, en nous inspirant de tout cet héritage de 68 étrangement mis en suspens ces dernières décennies… Rappelons-nous que, par exemple, des insoumis au service militaire venaient partager un peu de cet « ailleurs » relatif de La Borde, contribuant ainsi à ce lien nécessaire entre lutte et asile soignant. Alors qu’un service militaire est à nouveau au goût du jour, que la mise au travail exacerbée de tous est martelée, dynamitons toutes les sectorisations, tous les encampements en « premiers concernés », et concernons-nous tous par le refus de ce monde bien trop normal !