Dernièrement, dans un contexte d’occupation d’universités, nous avons cru entendre dans certaines réunions, que la casse, que les dégradations seraient exclusives aux “mascus”, aux “mecs-cis”. Comment ne pas penser que ce discours reproduit la détermination, voire la naturalisation de la violence comme étant masculine (et la douceur étant féminine ?). Au sein des mouvements sociaux, dans les luttes et les occupations (qu’il s’agisse de casse des machines à café, des vitrine de banques, de barricades enflammées…), la casse matérielle serait donc le propre exclusif des “mascus” !
Un tel lien présuppose que quand quelqu’un s’attaque à quelque chose, ce qui est important est le qui et non pas le quoi. Ce qui devrait nous intéresser devrait plutôt être à quoi cette personne s’attaque et non pas ce qu’elle est dans son essence, son identité.
D’autre part, une telle affirmation, un tel lien semble nier toutes les potentialités et les puissances de nos corps, de tous les corps, peu importe leur forme, leur couleur, qu’ils soient corps de femmes, de personnes intersexes ou de personnes trans, pour les figer dans un devenir victimaire absolu. Si nos corps sont opprimés, s’ils ont été écrasés, abîmés, détruits, nous pensons et nous éprouvons leur puissance dans la lutte. Nous croyons à nos corps (et non pas à nos “identités”), nos faisceaux de matières faits de pensées, d’intentions, nos corps qui prennent racine, qui appartiennent à une réalité sociale spoliatrice et agressive, nous croyons à nos corps comme potentiels et réserves de puissances de luttes, de casses, de révoltes infinies, d’émeutes enragées contre toutes les institutions qui garantissent la reproduction de ce monde, qui organisent collectivement la spoliation de notre autonomie et empêchent l’expression de nos individualités libres. Nous pensons, que nous tous qui nous opposons à l’appareil machinique de l’État, que nous ne saurions réduire et figer nos corps à des identités dites “naturelles”, mais bien les dépasser et les subvertir, nos corps comme ensemble et nos corps uns à uns, nos corps en mouvement, nos corps tremblants, nos corps chauds, nos corps vivants nos corps que l’on agi, nos corps avec lesquels et grâce auxquels on agit et que l’on met en mouvement contre les puissances de la mort, nos corps que l’on espère pas réduits à la manière dont ils ont été socialisés et éduqués, nos corps que l’on meut dans des devenirs et des singularités multiples.
Mettre une cagoule, s’habiller en noir, taguer, déchirer, crier casser, brûler : ce n’est pas devenir comme tout le monde, devenir invisible, égal en tous points aux autres cagoulés (même si ça l’est de manière externe pour nous solidariser face à l’appareil juridique et policier) mais c’est aussi s’organiser, se rassembler pour agir ensemble et faire l’épreuve, par notre chair, d’une organisation transversale – et cela peu importe que je sois femme, rat, bizarre, homme, dauhpin, trans, queer, que je sois d’ailleurs, que je sois d’ici ou de là-bas, que j’ai été socialisé comme un animal docile ou comme une brute sauvage, que mes parents soient policiers, chômeurs, juges, bourgeois, aristocrates ou bien prolos ! S’arracher au capital, s’arracher à l’État, s’arracher à toutes les violences devrait être l’affaire de tous ! Si se protéger et lutter contre l’appareil étatique et juridique, son ordre écrasant, étouffant – en noir, en vert, en rouge – si être porteur de conflictualités dynamitées, d’agitations vitales n’était l’apanage que des hommes ou des “mascus”, que ces forces violentes et libératrices leur était par avance et toujours d’emblée exclusivement assignées, que resterait-il alors de la puissance de subversion ? Cette puissance de subversion ne naît-elle pas et ne prend-t-elle pas toute sa force dans ce qu’elle a de plus universel ? C’est cette conception de l’universalité qu’il s’agit de définir : elle ne se comprend évidemment pas comme universel étatique – comme l’universel en tant qu’il est l’apanage de la majorité, comme état stable et identique garant de la conservation et de la reproduction de l’ordre social – et qui englobe des réalités en parvenant à effacer leur spécificités les rendant réductibles les unes aux autres – mais c’est bien d’une universalité concrète, qui s’ancre ici et maintenant, une universalité de tout un chacun, de toutes les minorités, des bizarres, des cagoulés et des découverts, des emprisonnés et des fous dont il s’agit ! Nous croyons que nous nous émanciperons que dans la lutte, que notre liberté ne s’agrandira et ne se déploiera que dans la violence joyeuse, dans la violence vitale, dans la casse comme cri de nos abîmés, de nos misérables, de nos étouffés, de nos morts et nos assassinés ! Que la casse est l’arme de tous, qu’elle est réappropriation, qu’elle est créatrice, qu’elle est pulsion, mais qu’elle est aussi un cri depuis le désespoir et qu’elle permet un espace pour rencontrer des camarades peu importe leur nom, leur sexe, leur origine.. Que la lutte ouvre un espace de liberté, un champ de possibles et de pluralités irréductibles aux espaces cloisonnés et fragmentés, repliés et mortifères du quotidien.
Signé des voleuses et des casseuses