Pétons les Plombs

New York, 13 et 14 juillet 1977. Un gros orage entraîne un black-out historique qui durera 25 heures. La ville lumière s’éteint. Des émeutes et pillages irrépressibles s’emparent alors des rues, éclairées par des centaines d’incendies.
Nous ne regrettons certainement pas les 150 millions de dollars de marchandises volées, mais que l’ordre ait été rétabli une fois la panne de courant réparée. Soyons imaginatifs, n’attendons plus l’orage pour court-circuiter la normalité des villes !
La bourgeoisie a vu dans cet événement une nuit de saccages sanguinaires, fantasmes bien illustrés par le mauvais film American Nightmare : dans un monde sans lois ni ordre, l’humanité retrouverait sa « sauvagerie naturelle ». Ce mythe étatiste bien connu est le prétexte idéal à l’assainissement et la sécurisation de la ville. Ainsi, l’obscurité révélerait le visage monstrueux d’une humanité hors de contrôle. L’urbanisme sécuritaire veut une nuit toujours moins noire ; la lumière des lampadaires sera, pour ses représentants, le salut de l’humanité : Urbis securitas et nitor ! La sûreté et la propreté de la ville ! (devise apparue à Paris pendant l’installation des premiers éclairages publics qui coïncident avec l’apparition de la police en 1667).
Les lampadaires éclairent (comme les caméras surveillent) les recoins des ruelles mal famées, les petits carrefours où vivent les mauvais garçons et les survivances de toutes les cours des miracles. Ceux-ci sont bien plus efficaces que n’importe quel policier pour mater les rôdeurs, les voleurs, les escamoteurs de plans sur la comète, les cambrioleurs et les braqueurs, les louches, les loubards et les putes. Cette lumière diffuse et continue est le rêve de l’absolue surveillance et du contrôle omniscient, mais ce rêve est percé de failles, ne l’oublions pas.
Contre l’obscurantisme du capitalisme, de l’état et de toutes les religions, contre le bain aveuglant des projecteurs et des miradors, vive les lucioles ! Pour que nos nuits s’embrasent encore, pétons les plombs !
Réverbères, la lune nous suffit.