Prise d’empreintes sous la contrainte, refus collectif et vengeance

Le 14 mai 2022, à Paris, dans le commissariat du 5ème arrondissement, quatre gardés à vue pour des motifs différents (deux pour stup et deux pour intrusion et dégradation) se sont retrouvés, depuis la même cellule, à partager une situation et un refus commun et à s’entre-aider pour maintenir ce refus : celui de donner ses empreintes. Toutes les raisons sont bonnes d’empêcher un fichage. Depuis janvier, en plus d’être un délit, le refus de donner ses empreintes peut exposer à devoir lutter contre la force, le procureur pouvant demander une prise « sous la contrainte » effectuée par l’OPJ et d’autres flics. Ce n’est pas systématique : le jour même, dans d’autres cellules, plusieurs personnes sont sorties de GAV sans avoir donné leurs empreintes.
Il s’agit encore d’une zone inhabituelle autant pour les flics que pour nous : jusqu’où peuvent-ils, vont-ils aller dans l’usage de la contrainte physique ? Jusqu’où allons-nous résister ? Que peuvent faire les baveux pour faire leur travail de bataille juridique afin de s’impliquer dans la contestation de cette modification récente de la loi, grâce aux occasions que nous leur offrons ?
Maintenant que l’on sait que la prise d’empreinte sous contrainte peut avoir lieu (ce n’est pas la première ni la dernière fois), essayons de réfléchir aux manières d’entraver coûte que coûte, individuellement comme collectivement, ce processus. Le récit qui suit est une manière de contribuer à cette réflexion, afin que nous puissions tous avoir en tête des récits de refus d’obtempérer qui ont pu marcher (ou, à l’inverse, pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné, etc). Crier et s’énerver, ça peut fonctionner…et surtout, surtout ça peut marcher collectivement. Le refus des uns aide les autres. Alors aidons-nous les uns les autres et refusons la signalétique.
Ainsi, dans le commissariat du 5ème, il y a peu de temps :
« La sale merde que l’institution appelle OPJ convoque un par un les récalcitrants et les informe dans son petit bureau que la police va réaliser une prise d’empreinte « sous la contrainte », sur demande du procureur. Cette formulation qui ne veut rien dire impressionne. Tout de suite celui qui était là pour stup prévient les flics et ses co-gardés à vue qu’il est prêt à tout pour ne pas les donner. Alors que tout le monde somnole, les voilà : l’OPJ et un policier ouvrent la porte et lui disent de venir, peut-être pour mater le plus vite possible le plus véhément. Il refuse de les suivre et ils le tirent hors de la cellule, sous une pluie d’insultes et de menaces. Les autres l’entendent hurler et la peur s’installe. Il revient, torse nu, le pantalon baissé, tremblant de rage, et il raconte. Entre les « fils de putes » et les « Je vais les trouver dans le quartier pour les tuer », il dit qu’il a réussit à ne pas donner plus que les doigts de la main droite, et mal, c’est à dire ni la paume, ni le côté des doigts, ni rien de la main gauche. Une victoire, à quel prix ? Tête écrasée sur le sol, puis clef de bras sur le bureau en métal, coups de genoux et de poings dans le coxis, doigts tordus, pas mal de frayeur et un sentiment d’humiliation qui donne l’envie de se venger « sans proportionnalité », comme dirait un porc. Pas de coups de Taser pour cette fois. Ils viennent chercher le deuxième, dont c’est la première garde à vue. Après avoir marché jusqu’au bureau de métal, entouré de 6 policiers, ils lui plaquent un Taser à poing dans le dos et le menacent. Ces salauds obtiennent alors partiellement ce qu’il voulaient : les empreintes d’un des trois, avec cette menace de torture électrique.
Retour à la cellule, les flics retournent chercher le dernier qui n’a pas encore donné ses empreintes. Le premier à les avoir données s’implique, il met les matelas et les couvertures sur la porte pour barricader bloquer la porte de la cellule. Sur ses conseils, le dernier met ses chaussettes qui puent sur ses main et se met au coin le plus éloigné de la barricade de fortune. Les flics arrivent, demande que ça se passe sans contrainte. C’est mort : « Allez-y, contraignez moi, pour voir ». Il se fait tirer au sol jusqu’à la salle. Ils sont 6 policiers à l’intérieur. Taser sur les côtes, « 3, 2, 1 … » et puis… rien. Ce ne sont pour l’instant que des menaces, une forme de négociation. Clef de bras, la tête sur le bureau froid, et la contrainte commence. Coups dans le coxis, doigts tordus, mollet écrasé, et 6 coups de tasers sur la cuisse. Les fliquettes, ces sales chiennes, sont derrière et galvanisent leurs collègues. Leur but est toujours que la prise d’empreinte se fasse sans prendre la main de force. Après 5 minutes de cris, ils prennent comme pour l’autre uniquement le bout des doigts de la main droite.
Retour en cellule, haine collective. « La prochaine fois qu’on en a un sous la main, c’est coup de marteau dans la tête direct ». »
Dans ce commissariat, les flics ont laissé tomber la prise d’ADN. La férocité du premier récalcitrant a sans doute aidé à cela, en aidant tous les autres.
Devant cette loi qui ne nous permet même plus de commettre de délits tranquilles, il est plus qu’urgent de trouver de nouvelles stratégies de défense collective : barricader les portes de sa cellules, enfiler des chaussettes puantes sur ses mains, ouvrir et fermer frénétiquement les doigts pour les décourager, crier, se débattre, se recouvrir le visage avec l’encre des empreintes pour ruiner leurs photographies, déchirer les feuilles des empreintes au dernier moment… Tout est encore à imaginer. Inspirons nous de celles et ceux qui, depuis le creux de leurs cellules, ont eu le courage de résister face aux flics.
Et pour finir, si les flics nous humilient et nous contraignent, vengeons-nous ! Et pas seulement individuellement, ça va deux minutes de se faire marcher dessus.