MORT AUX DICTATEURS ET A LA POLICE DES MŒURS !

Depuis la mort de Mahsa Amini, les femmes en Iran brûlent leurs voiles, dévoilant au monde entier le beau spectacle d’individus révoltés. Arrêtée pour un de ces prétextes arbitraires dont la Gasht-e-Ershad (police des mœurs chargée d’appliquer entre autres les règles de tutelle religieuse des femmes) est coutumière, la jeune femme a subi des mauvais traitements qui l’ont tuée. Il ne s’agit pas d’une simple affaire de « bavure policière ». Des manifestations ont lieu à Saqqez, à Sanandaj, mais aussi à Téhéran, et dans une quarantaine d’autres villes depuis cinq nuits de suite. Partout on entend “Mort à la République islamique !”,“Mort au dictateur !”. Sa mort intervient dans un contexte de répression générale qui pèse sur tout l’Iran. Elle est la goutte d’eau qui fait déborder la colère sociale s’étant exprimée toutes ces dernières années.

Plusieurs mouvements de contestations ont eu lieu depuis la réélection (truquée) d’Ahmadinejad en 2009. Mais c’est avec l’élection (truquée là encore) de Rohani et les mesures d’austérité qui l’ont accompagnée en 2017 que les mouvements de révoltesont pris un tour violent, malgré une tentative de la part de l’opposition officielle d’en prendre le contrôle. Ce sont des jeunes ouvriers et des chômeurs, ce sont des jeunes femmes luttant pour leur liberté qui se soulèvent non simplement contre les mesures du gouvernement, mais contre le régime théocratique et dictatorial lui-même.
Deux ans plus tard, en 2019, les actions des révoltés ont pris l’allure d’une lutte arméeet en armes, avec des incendies de banque par tout le pays, des sabotages de raffinerie dans des contextes de grève sauvage et fait inédit – l’attaque de bases bassidjis (branche paramilitaire des « Gardiens de la Révolution islamique » (sic) placée directement sous l’autorité de l’ayatollah Khamenei). La répression a été féroce : 7000 arrestations d’individus dont on arrache des aveux sur leurs actions, 234 personnes tuées en tout, 3 500 blessés, 7000 personnes avaient été arrêtées. Le régime des Mollahs a envoyé sa police tirer sur les manifestants. Une fille âgée de dix ans a reçu une balle dans la tête à Bukan. Et le gouvernement a coupé Internet et instauré une censure vis-à-vis des médias extérieurs pour qu’on ne sache rien de tout ça…
C’est fort de toute cette colère, fortifiée d’ailleurs par les pénuries d’eau durant les étés (imputées à tort au réchauffement climatique par le gouvernement, alors qu’elle est le fait d’une « mafia de l’eau » composée de grands propriétaires qui la détourne massivement pour leur propre profit) et les pénuries alimentaires dans les diverses provinces, — c’est fort aussi de toute l’expérience de la répression que ce mouvement quinquennal de révoltes devient insurrectionnel aujourd’hui et laisse la police et l’armée momentanément désorganisée. Pour combien de temps ? D’autre part, si le mouvement est sans leader pour l’instant, la possibilité que des organisations en prennent le contrôle pour les plier à leur propre agenda politique n’est pas exclue.
Quelles sont les forces qui risquent de récupérer le mouvement ? Comment les endiguer ? Certaines organisations politiques nationalistes qui ont été écartées de la Révolution islamique de 1979 repointent le bout de leur nez, tel la CNRI/OMPI (Conseil National de Résistance iranienne composée pour l’essentiel des militaires sectaires de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien). D’autres organisations, plus récentes, luttent en régionalistes face à l’ « occupant » iranien. Le KDPI (Parti démocrate kurde en Iran) et le Komala (parti social-démocrate) récemment alliés et en concurrence avec le PKK pour le projet d’une révolution dans la région qui aboutirait à un État fédéral et multi-confessionnel appellent à la lutte contre les forces de l’ordre iraniennes par tous les moyens.
En somme, c’est la tentation d’une révolution encore nationaliste qui pèse sur l’Iran, révolution qui se fera au détriment des révoltés de là-bas comme d’ailleurs — révoltés qui savent que la répression qu’ils subissent déjà et subiront inévitablement dans un tel contexte a peu à voir avec leur appartenance ethnique ou religieuse, tout comme les raisons qui les ont précipité sur les barricades à visage et chevelure découverts, la rage au ventre.
Quelles perspectives révolutionnaires pourraient se dessiner au sein de ces insurrections ?
Comment faire en sorte que ces incendies, ces actes de sabotage et de tabassage de flic trouvent un écho dans les autres pays, comme par exemple chez les libanais qui braquent les banques pour survivre ou les étudiants grecs qui manifestent pour que les condés n’aient pas place dans leur fac ? Comment faire en sorte que ce qui se passe en Iran ait un écho en France ? Ici, ça représente d’autant plus une gageure qu’on assiste à d’étranges atermoiements de la part de militants qui, par anti-impérialisme, s’abstiennent de dire quoi que ce soit sur la situation en Iran. Un silence assourdissant sur les mouvements de révoltes, rompu çà et là par de vagues allusions à l’insidieuse influence occidentale que subit le régime des mollahs et qui justifierait une certaine réserve… Bref, on rejoue la partition manichéiste et proto-complotiste d’un choix entre deux camps (grosso-modo Israël ou les USA vs l’Iran) en fermant délibérément les yeux sur un mouvement dont la spontanéité ne fait aucun doute.
Comment se solidariser avec ces femmes et ces hommes qui ont décidé de lutter contre leur quotidien et contre les pouvoirs en place sans tomber dans les pièges du manichéisme et du démocratisme ?
Car ici aussi, nous devons nous méfier de toute forme de récupération politicienne, qui ne voit dans ces soulèvements qu’une occasion de plus de sortir leur soupe stérile des fameux « débats sur voile » (qui ont lieu à gauche chez les meilleures féministes réformistes comme à droite chez les conservateurs réactionnaires).
Il est plus que nécessaire de réaffirmer et consolider une solidarité internationale et d’être à la hauteur de celles et ceux qui luttent en mettant leur vie et leur liberté en péril.
Vite ! Rencontrons-nous pour que ce mouvement en Iran ne soit ni isolé, ni asphyxié par les pouvoirs !
Afin qu’on ne puisse plus interposer entre les révoltés de tous les pays les voiles identitaire qui nous maintiennent dans l’ignorance de notre force collective et de la perspective internationaliste qui peut la rendre concrète,
SOLIDARITÉ TOTALE AVEC LES INSURGES ET MORT A LA THEOCRATIE IRANIENNE !