A Thessalonique, forte chaleur en décembre

Texte reçu par mail

À Thessalonique et en Grèce, ça sent le soufre depuis des semaines déjà.
En quelques jours, autour de fin novembre, deux importants squats établis depuis des années, le Prosfiyika à Athènes et le Nuevo Mundo à Thessalonique, ont été évacués par les flics, et le camp de migrants d’Eleonas à Athènes, le plus vieux de Grèce centrale, a été vidé de ses derniers occupants. Le week-end du 3-4 décembre, le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis annonce un bonus de 600 euros pour tous les policiers et les gardes-frontières grecs. Une récompense bien méritée pour ceux qui chassent les migrants, les repoussent aux frontières et les laissent se noyer dans la rivière Evros, ceux qui expulsent les squats et les campements de fortunes, ceux qui virent de chez eux les retraités qui ne peuvent plus payer leur loyer, ceux qui gèrent ces prisons à ciel ouvert que sont les camps de rétentions, ceux qui cherchent à écraser chaque réaction face à la misère et l’autoritarisme de l’État grec. Ces actions policière et ces manœuvres politiciennes décidées par le gouvernement ressemblent fort à une tentative d’accélération de destruction du mouvement contestataire grec et de garantie du support de la police, à l’heure où le parti conservateur nationaliste au pouvoir, Nouvelle Démocratie, semble plus que jamais fragilisé. De quoi en tout cas faire monter la tension autour du 6 décembre, moment auquel surviennent chaque année des affrontements entre manifestants et police grecque en raison de la mort à cette même date d’Alexandros Grigoropoulos, garçon de 15 ans tué en 2008 par la police dans le quartier d’Exarchia à Athènes. Ce jour qui vient est dans les têtes de tous ceux qui crachent sur ce monde de merde, et ces chiens de flics vont alors leur donner une raison de plus d’y prendre part.
Dans la nuit du 4 au 5 décembre 2022, les flics à moto de Thessalonique tirent sur Kostas Fragoulis, un jeune homme de 16 ans, au volant de sa voiture mise à l’arrêt au terme d’une course-poursuite. Depuis l’arrière du véhicule, une balle se loge dans sa tête et le laisse dans un état critique, dont l’issue est encore inconnue. Kostas Fragoulis est accusé d’avoir volé 20 euros d’essence dans une station-service de la ville et d’avoir refusé d’arrêter son véhicule à la demande de la police, après que celle-ci a été contactée par une balance de la station-service et l’ait pris en chasse. 1 balle dans la tête pour 20 balles dans le réservoir.
Quelques heures plus tard, le lundi 5 décembre en fin d’après-midi, à Thessalonique et à Athènes, des milliers de personnes se rassemblent pour réagir à la nouvelle d’un potentiel énième assassinat policier, faisant terriblement écho à celui d’Alexis Grigoroupoulos en 2008, qui avait déclenché une vague d’émeutes sans précédents à travers le pays. À Thessalonique, 1500 personnes créent une émeute dans le centre-ville. Plusieurs devantures sont brisées, les départs de feux se multiplient et les keufs reçoivent cocktails molotovs, bouteilles et pierres en nombre. Devant l’hôpital Hippocrate où a été interné Kostas Fragoulis, des affrontements se déclenchent entre les Roms, communauté dont fait partie le garçon touché, et les flics. À Exarchia, à Athènes, de nombreuses barricades sont érigées et des combats se déroulent jusqu’à tard dans la nuit contre la police.
Le lendemain, le mardi 6 décembre, alors que le flic accusé est au tribunal de Thessalonique, des dizaines de personnes s’y rendent et invectivent les policiers qui gardent l’entrée. Après quelques échauffourées, les porcs frappent le père de Kostas Fragoulis, venu manifester sa colère. Le gouvernement et l’hôpital Hippocrate de Thessalonique refusent aussi catégoriquement de communiquer sur l’état de santé du garçon, dont on sait juste qu’il est dans une situation critique, laissant présager une issue fatale.
À 18 heures à Thessalonique, au moins 5000 personnes se réunissent et marchent en l’honneur de la mémoire de Kostas et d’Alexis, sous le regard d’une lourde présence des “matatzides”, la police anti-émeute grecque. À la fin de la marche, une partie des participants se dirige furtivement vers Ano Poli, la ville haute de Thessalonique, alors que les flics attendent sagement sur la place Kamara pour les affrontements habituels. Le changement de tactique est efficace. En quelques minutes, le secteur autour de l’ambassade de Turquie est transformé en fournaise par les émeutiers. Les poubelles sont renversées et incendiées, les trottoirs martelés pour servir de projectiles et les keufs, surpris et postés plus bas dans la rue Olimpiados, se prennent une pluie intense de cocktails molotovs, de bouteilles, de mortiers et de pierres pendant de longues minutes. Les gaz lacrymos et les grenades assourdissantes ne peuvent rien y faire, la flicaille morfle face à la rapidité et à l’intensité des attaques. Ces salauds ne peuvent que se cacher dans les renfoncements des immeubles, alors que l’un d’entre eux se prend un cocktail de bienvenue en plein torse. Les fumées et les senteurs de plastique brûlé se propagent ensuite alors que les émeutiers se sont tous échappés par les ruelles étroites d’Ano Poli après y avoir clamé leur fureur par leurs actes et leurs cris. Au moment où j’écris ces lignes, aucun compagnon n’a semble-t-il été arrêté à Thessalonique. En une dizaine de minutes, le quartier a été retourné, ces sales flics en ont bavé, et Thessalonique ne m’a jamais paru aussi belle que ce soir du 6 décembre 2022.
Au même moment, à Athènes, les rues d’Exarchia et d’autres quartiers de la capitale s’embrasent aussi et les barricades et les échauffourées s’y multiplient. À Janina, la marche finit par un affrontement direct avec les flics. Pendant la nuit du 6 et le lendemain dans la journée, plus d’une dizaine d’endroits où vit la communauté Rom en Grèce sont le théâtre d’attaques contre la police, notamment à Menidi, où projectiles et molotovs sont aussi utilisés en guise de cadeaux aux autorités. Au terme de tous ces affrontements, plusieurs keufs finissent blessés dans différentes villes grecques, dans ce qui semble être les émeutes les plus violentes depuis 2008.
Au soir du 7 décembre, l’état de santé du jeune homme n’a pas encore été communiqué et les politiciens grecs commencent déjà leur travail de sape pour justifier l’ignominie. Qu’importe, les attaques contre les flics se poursuivent ce soir dans plusieurs villes grecques, à Menidi, Zefyri, Patras, ou Agrinio, où leurs véhicules sont pris pour cible. Espérons tous que Kostas survivra, et que les émeutes se poursuivront encore et encore.
En Grèce comme ailleurs, continuons d’être offensifs et de propager la révolte, pour que jamais les chiens de garde du pouvoir ne puissent dormir tranquille. Et pour cela, allumons les feux !

P.-S. : Le 13/12, l’hôpital a annoncé la mort de Kostas Fragoulis ! Vengeance !