Mauvais Sang numéro 5 / La démocratie, c’est la réaction

Cliquer sur l’image pour télécharger le pdf du numéro 5

Ici comme ailleurs, en Iran comme en France, la démocratie présente une dynamique contre-révolutionnaire à laquelle il nous faut nous confronter pour peu qu’on prenne la question de la révolution au sérieux. L’« honnête » démocrate présente souvent son fétiche comme l’aboutissement définitif des périodes de luttes… prêtant à des gens qui se sont soulevés, parfois en en payant le prix de leur vie, des intentions et des revendications réformistes qui sont en réalité les siennes et qui intéressent surtout la bourgeoisie. La démocratie s’améliore toujours plus, paraît-il, en instituant à l’intention de l’honnête citoyen de nouvelles manières, toujours plus consensuelles, de participer aux processus décisionnaires au sein de l’appareil étatique qui aboutissent au mieux à voter des mesurettes contre les discriminations sociales, au pire à légitimer le fait de se faire toujours plus fliquer… Cette batterie de réformes n’a jamais rien d’un aboutissement pour tous ceux qui continueront de subir l’ordre, le contrôle et le travail. Là où la démocratie succède à un autre régime, elle signe bien plus souvent la fin et l’échec d’un processus révolutionnaire porteur de perspectives qui débordent largement la pitoyable question de savoir si la démocratie est le meilleur régime ou non. La belle âme démocrate, derrière son consensualisme et sa pondération, n’est en définitive qu’un vieux flic qui court après les luttes en se présentant d’abord de gauche, progressiste, camarade, avant de plaquer les barreaux de sa modération sur nos espoirs d’émancipation. L’État iranien, qu’il soit l’actuelle théocratie qu’on sait désormais mortelle, ou la prochaine démocratie du Moyen-Orient gérée par de minables bureaucrates et, pourquoi pas, administrée par des fliquettes aux cheveux découverts pour la vitrine « progressiste », conservera son nécessaire arsenal contre-révolutionnaire : des institutions, des tribunaux, des commissariats, afin que le contrôle et la répression soient toujours là pour veiller à la bonne mise au pas de révoltés qui, une fois le régime des mollahs renversé (ce qui n’est pas une mince affaire), devront reprendre leur vie de labeur. Pour que, justement, l’avenir de la révolution iranienne ne soit pas démocrate, c’est-à-dire ne soit pas un avenir entravé par une perspective réformiste d’État, mais pour qu’il puisse au contraire être débordé par d’autres révolutions, sans frontières, au Moyen-Orient comme ici et sur toute la Terre, et plus loin, il est vital qu’en France nous nous insurgions contre toute captation démocratique, contre tout ce qui permet, par exemple, à Macron de féliciter les femmes iraniennes et de s’ériger en continuité des luttes vivantes qui brûlent des commissariats, soulèvent des prisons et saccagent les ordres policiers et militaires. Présenter la démocratie, les droits de l’homme, des femmes et des minorités comme l’aboutissement d’insurrections n’est qu’un racket permanent qui voit dans tout mouvement le début d’une fin qu’il s’agirait de précipiter dare-dare pour barrer l’avenir et préserver l’État, et non pas le début d’un renversement de l’État qui nous ouvre un avenir plein de promesses : insurgeons-nous, ici et maintenant, contre les récupérateurs démocrates des soulèvements.
Insurgeons-nous aussi contre ces prophètes de l’anti-impérialisme, et ces charognards de la politique et évangiles au verni gauchiste qui souhaitent minimiser la portée blasphématoire et déicide de la révolte en Iran en essayant de nous faire avaler que l’insurrection en cours porterait un libéralisme religieux ; faisant d’odieux parallèles entre la situation des femmes en Iran et celle des femmes voilées en France, ne permettant, dans un premier temps, aucune réflexion quant à la spécificité de l’État iranien et, dans un deuxième temps, faisant de la liberté religieuse un parangon de l’émancipation alors que Dieu est mort et que si son corps agonisant subsistait, nous devrions le retrouver au plus vite afin de mettre un terme à nos souffrances. Ces mêmes anti-impérialistes qui voudraient nous faire croire dans un discours à demi-mot complotiste que ces soulèvements sont dus à une manipulation américaine, qui la semaine d’avant pointent l’orientalisme des européens dans leur fascination pour ces révoltes : bande de pourritures, vous n’êtes que le miroir du gouvernement projetant une image inversée de celui-ci, allez à Dieu avant que l’on ne le submerge de démons avides de subversion, d’émeute et de désordre.
À tous ceux qui estiment que le minable octroi de réformes et de droits vaut bien les milliers de vies qui n’ont même pas toutes été mises en jeu pour elle, FUCK. C’est pour la liberté que nous nous soulevons, non pas pour voter pour des gauchistes de merde de tous les pays. Ne voir dans les slogans «Mort aux dictateurs», «Mort à la police des mœurs» que l’expression d’une perspective purement démocratique, c’est nier que les commissariats sont cramés et des flics tués aussi parce que ce sont des commissariats et des flics, et non simplement les commissariats et les flics d’une dictature. C’est nier que, actuellement, des révoltés expérimentent à travers la lutte la possibilité de renverser réellement l’État iranien dans sa fonction d’État, et donc pas seulement dans sa spécificité d’être une abjecte théocratie fanatique.
Alors, puisque le 4 décembre, la théocratie concède un premier mouvement de réforme pour changer de stratégie face à la révolte, en abolissant la police des mœurs, et que le procureur général Montazeri présente cette dernière disparue comme n’ayant rien à voir avec le pouvoir judiciaire, il est plus qu’urgent de ne pas tomber dans le panneau du renouvellement des outils répressifs. Il n’y a pas de justice sans police… Et toutes les polices ont un mauvais goût de police des mœurs ! Toutes les religions ont une mauvaise odeur de théocratie ! Tous les droits nourrissent des tribunaux qui nous condamnent !
C’est en solidarité avec ces révoltes qui grossissent et perdurent en Iran, mais aussi avec celles, plus récentes, qui éclatent actuellement en Chine, que nous faisons paraître ce numéro 5 de Mauvais Sang, un journal bâtard pour la révolution, dans l’espoir d’agiter de féroces critiques en acte de tout ordre étatique, moral et religieux. Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.

Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme