RÉPONSE ANACHRONIQUE À UN FOSSOYEUR DE LA COMMUNE

Vive les pétroleuses !

À propos des destructions par le feu durant la Commune de Paris des archives des registres paroissiaux et d’état civil, l’archiviste Auguste Jal écrit en 1872, dans son Dictionnaire critique de biographie et d’histoire :
« Si je prévoyais les révolutions, si je pensais qu’on pourrait revoir la terreur, je ne prévoyais pas qu’on s’attaquerait à d’innocents recueils de documents où le pauvre, le roturier, l’artiste, l’artisan, sont côte à côte avec le riche, le noble, le partisan, le ministre, le prince. »
Évidemment qu’un connard comme toi (qui n’a eu dans ta vie que pour seule obsession de devenir soldat et qui, ayant échoué, a trouvé bon de dédier sa vie au bon fonctionnement de l’appareil d’État en se retrouvant à fouiner dans les archives de la Marine nationale) ne comprends rien à ces destructions. Ton seul imaginaire de la révolution, c’est la Terreur, c’est-à-dire ce qu’il y a parmi toutes les choses que peuvent enfanter d’une révolution, de plus autoritaire, de plus judiciaire, de plus sanglant, de plus étatique. Non, il n’y a pas une égalité du noble avec le roturier dans (ni par) ces documents.
Tu aurais préféré que les communards et les communardes se laissent crever au nom de « l’unité nationale » et du « salut public » ? Bien sûr qu’ils se sont battus. Lorsque le 21 mai 1871, les troupes versaillaises dirigées par Adolphe Thiers rentrent dans Paris pour réprimer cette insurrection qui durait depuis 2 mois, l’ordre est donné de tirer sur les communards.
Certains monuments et maisons ont été brûlés intentionnellement pour retarder l’avancée des troupes versaillaises. D’autres incendies ont été déclenchés par les canons versaillais qui crachaient de tous leurs feux sur les communards. Mais ce serait à la fois faux et terrible de dire que des bâtiments comme le Palais de Justice, la Préfecture de Police, l’Hôtel de Ville ou encore la Cour de Cassation seraient partis en fumée par erreur dans le chaos des combats. Ce sont bien des communards qui ont mis du pétrole et des barils de poudre pour aider le feu à se propager. Il n’y a pas, comme tu le prétends de dossiers qui recensent une population qui soient « innocents ». Cela témoigne juste d’une confiance aveugle en l’État digne d’un scribouilleur appointé tel que toi. Tous les pouvoirs, de la monarchie à la république, en passant par l’empire, ont recours à la justice, à la police, au fichage. C’est peut-être un des seuls domaines où il y a, dans l’histoire humaine, un progrès ininterrompu. Tous les régimes qui accèdent au pouvoir utilisent les fiches précédentes pour mieux régner. Tant que l’État survit aux révolutions, il y a une continuité administrative. Les registres d’état civil et paroissiaux, qui indiquent les naissances, les mariages, les décès, ne sont qu’un premier pas vers la création des passeports, de la carte d’identité. Ils sont une base nécessaire à la mise en place des frontières, de l’armée (pas de conscription sans recensement), de l’impôt, de la propriété privée (notamment via l’héritage).
Le bertillonnage, qui s’est développé à Paris quelques années après la Commune, à partir 1879, n’hésite pas à utiliser la technologie, assez récente, de la photographie, pour améliorer ses fiches d’identité, notamment pour lutter contre les offensives anarchistes de la fin du siècle. Mensuration des corps des criminels, photographies de face et de profil. En 1898, a lieu en Italie la Conférence internationale de Rome pour la défense sociale contre les anarchistes, futur Interpol, qui veut développer la collaboration entre les polices des différents États. Les livrets d’ouvriers, le carnet anthropométrique, le livret de circulation, etc. Tout semble suivre la même voie, un document, d’abord exceptionnel, aux limites d’utilisations, avec le temps se généralise, se croise avec d’autres fichiers, et devient obligatoire.
Qui sait ce que les communards (parfois anonymes et qui ont réussi à échapper à l’exécution sommaire, à la condamnation à mort ou à la déportation) avaient en tête au moment de mettre le feu à ces lieux ? Peut-être ces incendies étaient-ils moins dus à des circonstances extérieures qu’à la volonté mûrement réfléchie de mettre des bâtons dans les roues de la répression qui, au nom de la 3ème République, allait bientôt s’abattre sur eux.
Dans les années qui suivirent la Commune, des débats nécessaires et conflictuels, entre marxistes et anarchistes, réfléchissent à cette tentative de révolution, et les anarchistes critiquent la volonté de certains marxistes de prise de pouvoir. Le pouvoir est maudit ! Il ne s’agit pas de le conquérir, mais de le détruire. Tu n’as pas participé à tous ces débats fondamentaux de la fin du 19ème siècle, tu es passé complètement à côté. Tu as préféré cracher sur les communards, leur sang pas encore séché, pour servir de la bouillie de justification intellectuelle à leur répression.
Les communards qui ont brûlé ces bâtiments ont frappé juste. Nous aurions même besoin aujourd’hui de davantage de pétrole pour s’assurer de la disparition définitive des locaux qui abritent les serveurs qui stockent les fichiers déjà innombrables et qui ne cessent de se multiplier encore : empreintes (FAED), ADN (FNAEG), fiches S, passeports, carte d’identité, carte vitale, TAJ, Fichier des personnes recherchées (FPR), GendNotes, etc. Qu’ils soient dédiés à la surveillance, à l’enquête judiciaire ou à l’administration, l’objectif de ces fichiers est toujours la sûreté de l’État et son bon fonctionnement, la paix sociale.
Solidarité avec les incendiaires de tous lieux et de toutes les époques ! Ressuscitons les pétroleuses !