Anticonstitutionnellement et alors ? Perspectives de lutte contre les frontières

Depuis quelques années, l’air devient irrespirable. À chaque fait divers, meurtre ou viol impliquant une personne sans-papier ou d’origine étrangère, tous les médias en font la une et tous les politicards appellent à un sursaut de l’Etat. Une OQTF pas appliquée ? Inacceptable !! Un migrant qui aurait dû être expulsé, l’Etat a failli dans son devoir de protection du peuple français ! Encore, lors des émeutes de juillet 2023, on entendait ici et là ceux qui pointent du doigt les immigrés comme responsables de la révolte qui a secoué la France. Depuis, les groupes d’identitaires et autres néo-nazis grandissent un peu partout, à Lyon, à Paris et dans de nombreuses villes, rêvant d’importer les émeutes racistes qui ont eu lieu en Irlande début novembre ou d’il y a quelques années en Allemagne, lors des émeutes à Clausnitz. Ce qui s’est passé après Crépol représente une tentative qui n’a pas pris et où « Gros Lardon » et ses amis se sont ridiculisés. Le gouvernement surfe sur la vague raciste qui monte et qui fantasme ce pays de merde pour renforcer le pouvoir des flics aux frontières et des juges, et pond la loi « Asile & immigration ». Une loi xénophobe qui prévoit un virage encore plus strict dans la gestion de l’immigration : quotas migratoires, fin de l’automaticité du droit du sol, régularisation des sans-papiers seulement dans des « métiers en tension », durcissement de l’accès aux prestations sociales pour les immigrés et des conditions du regroupement familial, rétablissement du délit de séjour irrégulier et une facilitation de l’éloignement des étrangers considérés par l’Etat comme représentant « une menace pour l’ordre public ». Le texte a été censuré partiellement par le Conseil Constitutionnel pour un certain nombre d’articles, notamment ceux qui concernent les quotas migratoires, l’accès aux prestations sociales et au regroupement familial, la réforme du droit du sol et le délit de « séjour irrégulier » : pas de grande surprise et cela ne change rien à la nécessité de lutter contre ces foutues frontières, que ce Conseil Constitutionnel n’abolira jamais. La droite et l’extrême-droite réclament d’ailleurs déjà une réforme constitutionnelle pour pouvoir faire passer ces mesures dans le futur, alors que la loi a été promulguée dans la foulée.
De l’autre côté du Rhin, en novembre 2023, une réunion réunissait des pontes de l’extrême-droite allemande, autour du parti AfD et autres néo-nazis, pour parler projet de « remigration », incluant une expulsion des étrangers ainsi que des allemands d’origine étrangère. Le fantasme des militants Reconquête ou autres fachos ! L’annonce de cette réunion secrète, rendue publique, engendre une grande réaction de la part des partis démocrates qui ont appelé à de grandes manifestations. Bien sûr, ce genre de lois, si elles étaient appliquées, serait un gros bouleversement. Mais est-ce que ça n’aurait vraiment rien à voir avec ce monde de merde ? Pourquoi les mêmes partis politiques qui s’indignent en Allemagne sont peu ou prou les mêmes qui vont voter la loi Immigration en France ? En France, à quel point la loi Immigration va intensifier des dynamiques déjà présentes auparavant ? Il ne s’agit pas de minimiser ce qui s’est décidé, qui représente un pas nationaliste et xénophobe de plus, mais plutôt de voir en quoi il s’agit d’une continuation de la même volonté de contrôle, de gestion, de tri et de sécurité. Assimilation, intégration, insertion, ou expulsion : toujours le même vocabulaire pour voir dans l’altérité et l’étranger un ennemi, un danger.
Par ailleurs, les raisons pour lesquelles les partis de gauchistes s’opposent à cette loi sont douteuses, pétries d’un intégrationnisme nationaliste et méritocratique que nous connaissons bien. Faut-il que les sans-papiers soient des héros pour avoir le droit de rester à l’intérieur des frontières sans vivre sous la pression constante des keufs ? Faut-il qu’ils soient heureux et reconnaissants d’avoir le privilège de travailler en restauration, à l’usine, dans le BTP, ou à l’hôpital pour être sûrs de ne pas risquer la taule et l’expulsion ? Le travaillisme et le paternalisme les plus crasses sont encore bien trop ancrés dans les discours et dans les pratiques qui prétendent s’opposer à cette loi. Faut-il rappeler ici que c’est cette même gauche réformiste qui a finalisé la création des CRA en 1981 ou qui a légalisé la rétention des familles en 2016 ? Mi-janvier, une partie de la gauche syndicaliste et associative (SINGA, CGT) a fait preuve, encore une fois, d’un paternalisme dégueulasse en proposant une manifestation (celle du 21 janvier) sans se concerter avec les collectifs de sans-papiers, et en laissant de côté certains mots d’ordre en raison de désaccords politiques. Ces désaccords portaient sur l’inscription dans l’appel de la nécessité de la régularisation de tous les sans-papiers et de l’abolition des frontières… Le communiqué conjoint de plusieurs collectifs de sans-papiers d’Île-de-France a fustigé à juste titre cette démarche paternaliste et a rappelé la nécessaire et essentielle question de l’auto-organisation dans la lutte, dans des formes adaptées aux situations de chacun !