Ma vie dans un micro-onde

Avec le terme de « réarmement démographique », le gouvernement affiche une volonté de contrôle des naissances, des corps, des organes. C’est une rhétorique militaire et patriote bien connue, Qu’elle soit nataliste ou anti-nataliste, on connaît les horreurs qui ont été commises en son nom, comme, par exemple, le programme de l’enfant unique de la Chine communiste. Depuis mars 2023, à Mayotte, L’État par l’intermédiaire de l’ARS, annonce vouloir inciter les femmes mahoraires ou comoriennes à se ligaturer les trompes pour maîtriser la natalité sur l’île…
Extrêmement autoritaires, ces mesures symbolisent la mainmise et le contrôle social de l’État sur l’intimité, la sexualité, les corps. Il ne s’agit que du prolongement d’un contrôle déjà en place des adolescents et enfants, à qui on apprend à être et devenir la future main d’œuvre de l’Etat.
Cette offensive réactionnaire s’exprime aussi dans des niches internet qui forment, culturellement et idéologiquement, un nouveau féminisme conservateur. Nous prendrons pour exemple le succès des « Tradwives » (« femme tradi ») sur les réseaux sociaux. Sorte de nouvelle tendance « lifestyle », ces femmes au foyer idéales, parfaitement peignées, dans un intérieur parfaitement rangé, cherchent à rendre leur idéologie souhaitable et séduisante. Comme beaucoup de théories et de cultures pourries, elles ont su se réinventer, se rendre désirables, sexy, glamour alors qu’elles avaient pourtant été enterrées sous des couches de poussières. Leurs vidéos « aesthetic » et le mode de vie prôné (refus du travail salarié, retour à la douceur rassurante du foyer, éloge du couple traditionnel normé hétérosexuel monogame mari/femme) ouvrent une fenêtre sur un monde idéal : celui où, débarrassé du « travail », les « femmes » (cette catégorie sociale homogène bien connue…) pourraient enfin se livrer à leurs « activités préférées » (entretien de la maisonnée, cuisine, ménage…). Il n’est pas nécessaire d’être un marxiste chevronné pour comprendre que le travail de la femme au foyer reste du travail, et que s’il n’est pas salarié, il n’en est pas moins aliénant. Le patron du mari est aussi celui de la femme. La femme travaille pour cette petite entreprise qui est son foyer : elle a ses horaires, ses logiques de rendement, ses temps de pause… Les murs du foyer peuvent être très épais, ils ne peuvent échapper aux réalités du monde extérieur. Cette pseudo subversion du modèle libéral, de l’atomisation généralisée de la société par un retour à la famille, ne subvertit rien, ce passéisme n’offre aucune émancipation, seulement un retour carabiné des rôles sociaux, des normes, du différentialisme essentialiste des femmes et des hommes (compris chacun comme des entités univoque, uniforme, fermement caractérisés).
Plus à gauche, les influenceuses « witchy » (essentiellement des influenceuses qui, se prenant pour des sorcières, proposent des rituels pour faire revenir les exes, et des pierres de lunes à 800e, on exagère à peine), qui constellent l’esthétique féministe libéral n’offrent pas de perspectives bien distinctes. Les codes peuvent être un peu différents, la misère du fond reste la même. En réalité, ce sont les deux faces d’une même pièce. Ces deux tendances prônent le retour à la nature, au féminin sacré, aux grands principes de la biologie, avec la même pseudo-critique du progrès scientifique, de la technologie, du libéralisme. Tout cela mélangé avec du développement personnel et du management de soi et de son intérieur.
Quelques soient les circonstances, cherchons et trouvons ce qui subvertit ce monde et ce qui, même à l’intérieur de la misère, de la barbarie, de la catastrophe, offre des possibilités de révoltes et de révolutions. S’il est nécessaire de critiquer le libéralisme, l’atomisation, le monde du travail, faisons le toujours du point de vue de l’émancipation. Ne cédons rien face à l’offensive en cours de la droite et de la gauche, qui trouvent judicieux de ressortir ces vieilleries pour répondre aux enjeux de notre époque.
Contre la réaction, vive la révolution !

Il fait chaud, c’est vrai, mais qu’est-ce-que c’est douillet. Il fait chaud et humide dans le micro onde. J’y suis née et j’y mourrai, et oui, c’est ainsi que mes organes sont faits ! On ne choisit pas, mais quel bonheur ! C’est pas moi qui travaille, c’est lui : ainsi, j’ai tout le temps nécessaire pour me livrer à mes activités favorites.
À l’extérieur du micro onde, tout le monde sait bien que l’air est irrespirable. Seul l’air du micro onde vaut la peine d’être vécu, heureusement, je n’y suis pas seule, quelle immondice ce serait. Chaque soir, je l’attends, il ouvre alors la belle porte rectangulaire de ses gros bras musclés, la porte est tellement lourde comment pourrais-je l’ouvrir? et il ramène tout ce dont j’ai besoin, tout ce que j’ai demandé, comme il est gentil, pour faire la popote avec les maniques que j’ai moi-même confectionné, quel bonheur que cette petite maison, sans air irrespirable, sans maladie, sans intrusion, sans travail, où il fait chaud, humide et bon. Je ne travaille pas, je fais tourner la machine. Elle tourne, tourne, parfois très vite. Moi ce que je préfère c’est sa cadence. Il fait chaud dans le micro-onde. Mais qu’il fait bon de vivre à l’intérieur. J’ai chaud, je transpire. Toute la viande, ça rentre pas, ça dégouline même sur les murs, enfin bon, on va s’en sortir, qu’il fait bon de vivre à l’intérieur. Il fait chaud, il fait de plus en plus chaud. Je n’ai pas la force d’ouvrir la fenêtre. Mes mains glissent. Ce n’est pas grave ça, c’est rien du tout, je vais attendre allongée, la tête vissée vers la porte. Il arrive quand ? Il fait chaud, il fait vraiment très chaud. Je vais tomber malade, si je tombe malade, je pourrai plus faire à manger. Notre vie est très simple vous savez, mais nous en sommes fiers, c’est une chance de faire tourner ce petit intérieur, on va pas se plaindre. On est bien, on est vraiment heureux. J’ai du mal à avaler ma salive, c’est comme si, c’est comme si ma langue se bloquait contre mon palais. C’est drôle. Quelle heure il est déjà. Quelques heures. Ça passe bien, on s’occupe bien on s’ennuie pas. Mes épaules glissent contre le lino, c’est cette chaleur, c’est. Je vais être malade, c’est décidé.