Mauvais Sang numéro 3 / Édito

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Depuis la fin du deuxième tour des élections présidentielles, l’illusion du bienfait de la gauche au pouvoir semble encore (et toujours) survivre sous la forme de la NUPES, du fameux troisième tour social, qui vient concrétiser la fameuse convergence des luttes que tout le monde semble avoir à la bouche, pour une négociation de meilleures conditions d’exploitation. Et pendant ce temps, pendant que les professionnels du sujet continuent leurs carrières dans la récupération de la colère, partout on raque, partout on pourrit en cellule, partout on crève et partout on en a marre. La police, de gauche ou de droite, fait et va continuer à faire son sale boulot en protégeant l’Etat et le capitalisme, avec sans cesse de nouveaux moyens, comme récemment la possibilité de récupérer les empreintes des gardés à vues sous la contrainte, c’est à dire sous les coups de pieds et de Taser. Mais c’est aussi un mouvement d’occupation à l’encontre des élections présidentielles qui a surpris tout le monde durant ce printemps, avec l’occupation de la Sorbonne puis d’autres bâtiments universitaires, en parallèle de nombreux blocages de lycées, et même si ce mouvement ne survit pas aux pressions policières, salariales et syndicales, il sera quand même venu nous rappeler que s’organiser largement et offensivement est à notre portée et que nous devons jeter nos forces dans son dépassement et dans son amplification. Nous ne pouvons qu’espérer que l’espoir qu’il a fait naître, chez de nombreuses personnes que les classifications sociologiques (étudiants, travailleurs, gilets jaunes, etc.) ne suffiraient pas à comprendre, saura s’exprimer sous de nouvelles formes, et vite.
Parce que nous pensons que les outils de la critique sont autre chose qu’un objet inerte de laboratoire, nous faisons paraître ce troisième numéro de Mauvais Sang dans l’intention de contribuer à ces récentes dynamiques de révolte.
Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.
Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme

Prise d’empreintes sous la contrainte, refus collectif et vengeance

Le 14 mai 2022, à Paris, dans le commissariat du 5ème arrondissement, quatre gardés à vue pour des motifs différents (deux pour stup et deux pour intrusion et dégradation) se sont retrouvés, depuis la même cellule, à partager une situation et un refus commun et à s’entre-aider pour maintenir ce refus : celui de donner ses empreintes. Toutes les raisons sont bonnes d’empêcher un fichage. Depuis janvier, en plus d’être un délit, le refus de donner ses empreintes peut exposer à devoir lutter contre la force, le procureur pouvant demander une prise « sous la contrainte » effectuée par l’OPJ et d’autres flics. Ce n’est pas systématique : le jour même, dans d’autres cellules, plusieurs personnes sont sorties de GAV sans avoir donné leurs empreintes.
Il s’agit encore d’une zone inhabituelle autant pour les flics que pour nous : jusqu’où peuvent-ils, vont-ils aller dans l’usage de la contrainte physique ? Jusqu’où allons-nous résister ? Que peuvent faire les baveux pour faire leur travail de bataille juridique afin de s’impliquer dans la contestation de cette modification récente de la loi, grâce aux occasions que nous leur offrons ?
Maintenant que l’on sait que la prise d’empreinte sous contrainte peut avoir lieu (ce n’est pas la première ni la dernière fois), essayons de réfléchir aux manières d’entraver coûte que coûte, individuellement comme collectivement, ce processus. Le récit qui suit est une manière de contribuer à cette réflexion, afin que nous puissions tous avoir en tête des récits de refus d’obtempérer qui ont pu marcher (ou, à l’inverse, pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné, etc). Crier et s’énerver, ça peut fonctionner…et surtout, surtout ça peut marcher collectivement. Le refus des uns aide les autres. Alors aidons-nous les uns les autres et refusons la signalétique.
Ainsi, dans le commissariat du 5ème, il y a peu de temps :
« La sale merde que l’institution appelle OPJ convoque un par un les récalcitrants et les informe dans son petit bureau que la police va réaliser une prise d’empreinte « sous la contrainte », sur demande du procureur. Cette formulation qui ne veut rien dire impressionne. Tout de suite celui qui était là pour stup prévient les flics et ses co-gardés à vue qu’il est prêt à tout pour ne pas les donner. Alors que tout le monde somnole, les voilà : l’OPJ et un policier ouvrent la porte et lui disent de venir, peut-être pour mater le plus vite possible le plus véhément. Il refuse de les suivre et ils le tirent hors de la cellule, sous une pluie d’insultes et de menaces. Les autres l’entendent hurler et la peur s’installe. Il revient, torse nu, le pantalon baissé, tremblant de rage, et il raconte. Entre les « fils de putes » et les « Je vais les trouver dans le quartier pour les tuer », il dit qu’il a réussit à ne pas donner plus que les doigts de la main droite, et mal, c’est à dire ni la paume, ni le côté des doigts, ni rien de la main gauche. Une victoire, à quel prix ? Tête écrasée sur le sol, puis clef de bras sur le bureau en métal, coups de genoux et de poings dans le coxis, doigts tordus, pas mal de frayeur et un sentiment d’humiliation qui donne l’envie de se venger « sans proportionnalité », comme dirait un porc. Pas de coups de Taser pour cette fois. Ils viennent chercher le deuxième, dont c’est la première garde à vue. Après avoir marché jusqu’au bureau de métal, entouré de 6 policiers, ils lui plaquent un Taser à poing dans le dos et le menacent. Ces salauds obtiennent alors partiellement ce qu’il voulaient : les empreintes d’un des trois, avec cette menace de torture électrique.
Retour à la cellule, les flics retournent chercher le dernier qui n’a pas encore donné ses empreintes. Le premier à les avoir données s’implique, il met les matelas et les couvertures sur la porte pour barricader bloquer la porte de la cellule. Sur ses conseils, le dernier met ses chaussettes qui puent sur ses main et se met au coin le plus éloigné de la barricade de fortune. Les flics arrivent, demande que ça se passe sans contrainte. C’est mort : « Allez-y, contraignez moi, pour voir ». Il se fait tirer au sol jusqu’à la salle. Ils sont 6 policiers à l’intérieur. Taser sur les côtes, « 3, 2, 1 … » et puis… rien. Ce ne sont pour l’instant que des menaces, une forme de négociation. Clef de bras, la tête sur le bureau froid, et la contrainte commence. Coups dans le coxis, doigts tordus, mollet écrasé, et 6 coups de tasers sur la cuisse. Les fliquettes, ces sales chiennes, sont derrière et galvanisent leurs collègues. Leur but est toujours que la prise d’empreinte se fasse sans prendre la main de force. Après 5 minutes de cris, ils prennent comme pour l’autre uniquement le bout des doigts de la main droite.
Retour en cellule, haine collective. « La prochaine fois qu’on en a un sous la main, c’est coup de marteau dans la tête direct ». »
Dans ce commissariat, les flics ont laissé tomber la prise d’ADN. La férocité du premier récalcitrant a sans doute aidé à cela, en aidant tous les autres.
Devant cette loi qui ne nous permet même plus de commettre de délits tranquilles, il est plus qu’urgent de trouver de nouvelles stratégies de défense collective : barricader les portes de sa cellules, enfiler des chaussettes puantes sur ses mains, ouvrir et fermer frénétiquement les doigts pour les décourager, crier, se débattre, se recouvrir le visage avec l’encre des empreintes pour ruiner leurs photographies, déchirer les feuilles des empreintes au dernier moment… Tout est encore à imaginer. Inspirons nous de celles et ceux qui, depuis le creux de leurs cellules, ont eu le courage de résister face aux flics.
Et pour finir, si les flics nous humilient et nous contraignent, vengeons-nous ! Et pas seulement individuellement, ça va deux minutes de se faire marcher dessus.

L’occupation de la Sorbonne n’était pas étudiante !

Le mouvement des occupations aura vu émerger une problématique qui s’est fréquemment posée au cours des derniers mouvements sociaux : la convergence des luttes.
Si l’on voulait être caricatural, on dirait que la « convergence des luttes », c’est comme le « troisième tour social » : c’est bien souvent un syndicaliste en AG qui a envie de se faire applaudir après un beau discours et de recruter. La convergence porte l’idée d’un côte à côte : il ne s’agit pas de dépasser les contradictions des luttes spécifiques mais de les faire marcher parallèlement, sans qu’elles ne se touchent jamais ni se rencontrent autrement que lors de cet hypothétique « grand soir » reporté indéfiniment. La « convergence des luttes » n’est jamais atteinte, mais cette idéologie se matérialise en partie sous la forme à laquelle se cantonnent actuellement la plupart des manifestations : chaque collectif se forme en cortège (étudiant, sans-papiers, syndical, etc.) et se retrouve à côté des autres, chacun dans son coin, place de la nation, tous tournés dans la même direction, c’est à dire… place de la Bastille, et puis voilà. S’opère ainsi un calcul infinitésimal, consistant à additionner les moindres différences, et qui n’aboutit à rien. Nous gagnerions sans doute à quitter ces cloisonnements folkloriques que de les rejoindre en ajoutant une carotte de plus à la soupe militante, si nous voulons envisager le dépassement inventif et offensif des mouvements sociaux. Sinon, la où cette idéologie s’épanouit, et la où elle a bien une chance de faire quelque chose aujourd’hui, c’est dans l’opposition parlementaire à Emmanuel Macron par la NUPES. Léninisme, convergence, 3ème tour social, et démocrate, et nous voilà repartis pour toujours la même merde modérée attentiste et gauchiste. Sortons de la convergence, dépassons, et vite.
La « convergence des luttes » ne désigne que ce moment de rencontre entre plusieurs parties (ou plutôt leurs représentants) qui défendent leurs intérêts propres. Cette dynamique, celle de la sectorisation est, à terme, sclérosante, et contribue à récupérer puis à tuer les mouvements de révolte. Lorsque, au nom de la « convergence des luttes », quelque organisation envoie le représentant des étudiants parler au représentant des migrants, cela ne fait pas que les étudiants et les migrants luttent ensemble pour une vie meilleure, cela permet simplement qu’à certains moments définis, des personnes d’un des deux groupes « soutiennent », plus ou moins de loin, la lutte de l’autre. Cette position de retrait empêche les mouvements de prendre de l’ampleur et ne sert qu’à produire un jeu similaire à celui des partis et des syndicats venus massifier et encarter.
Alors, comment lutter ensemble, sans tomber dans le piège de la posture de soutien facile ? (On ne sait que trop bien comment les élus « soutiennent » les manifestations, ou comment les chercheurs et professeurs émérites « soutiennent » les occupations, à condition qu’elles ne débordent pas trop trop, qu’elles se maintiennent dans les limites de la simple contestation revendicatrice !)
Comment prendre part à une lutte sans appeler à rejoindre la sienne ? Comment faire que « sa » lutte devienne l’affaire de tous ceux qui souhaitent lutter, et qui, chaque jour, se révoltent contre ce monde, contre leur travail et leurs salles de classe ? Comment, dans un mouvement, se laisser dépasser par les initiatives venues de « l’extérieur » de son organisation et de son collectif ?
S’il n’est pas de réponse pré-établie à ces questions, il nous semble que c’est bien dans la curiosité active de ce qui est proposé lors des moments d’organisation collectifs et dans la vigilance combative face aux initiatives qui souhaiteraient prendre le pouvoir au sein de ces instants, que des pistes de réflexions et d’actions peuvent s’ouvrir.
Il est important de garder à l’esprit que toute lutte porte en soi un commun avec les autres, celle d’une confrontation ici et maintenant avec l’existant. Comme pour les participants aux luttes, l’intérêt n’est pas tant d’où l’on vient (quel secteur professionnel, quelle fac, quel quartier, quel genre) mais ce qu’on agit, où l’on va, et jusqu’où ce commun peut nous porter dans ces moments de luttes.
La « convergence des luttes » ne nous offrira donc pas mieux qu’un statut de spécialiste dans notre lutte sectorielle et d’« allié » dans celle des autres. Un « allié » dont l’activité n’est finalement que d’affirmer nominalement qu’il soutient telle ou telle lutte et qu’il faut les faire converger. Virtuellement, l’ « allié » a tout d’un touriste qui peut se désengager à tout instant d’une dynamique parce qu’il n’est pas un « premier concerné ». Et inversement, un « premier concerné » aurait toute légitimité à réduire autrui au statut de simple « allié », sous prétexte d’incarner l’un des aspects problématiques d’un mouvement dont la problématique générale est cependant sensible à tous ceux qui sont présents en son sein. Il peut d’autant plus opérer cette réduction qu’il maîtrise, jusqu’au bout des doigts, les codes sociaux qui lui permettront d’obtenir d’autrui qu’il cède systématiquement la parole à ceux qu’on suppose être spécifiquement concernés par une question, et ce avant voire sans même avoir défini le caractère spécifique de cette question.
Lorsque, dans un mouvement qui nous dépasse tous, nous cessons de lutter en tant qu’étudiants, travailleurs, chômeurs, lycéens… Lorsque, dans un même élan, nous laissons de côté nos revendications particulières pour embrasser le feu de la puissance collective… de nouveaux possibles s’ouvrent enfin devant nous, portant avec eux l’inconnu et la joie de la révolte.

La volonté d’impuissance

L’État, avec son armée, ses tribunaux, sa police et ses dispositifs de surveillance, a tout intérêt à ce que chacun croit – jusqu’à l’irrationalité – qu’il est tout puissant, voire même omniscient, notamment grâce aux nouvelles technologies de vidéosurveillance (caméras, fichier ADN, détecteur de mouvements, localisation de téléphones, etc.). Il semble d’ailleurs que plus l’État est en crise, plus ses assises et sa légitimité sont contestées, plus la rhétorique de ses défenseurs devient celle de la maîtrise, avec pour corollaire la tentative de faire peur à tous ceux qui voudraient le contester. Plus l’État est fragilisé et plus il se dit puissant, capable d’écraser ses ennemis. On se souvient à cet égard du contexte de répression des Gilets Jaunes, quand les annonces gouvernementales et préfectorales de risques de graves blessures en manifestation jouaient sur ces effets de peur, visant à ce que chacun se terre dans son coin, effrayé et paralysé. On peut presque être certain que l’État, jusqu’à ce qu’il crève sous nos révoltes, tiendra fermement à son point de vue de maître absolu. L’État aimerait bien être un Dieu immortel.
Mais nous, qui le savons mortel, contingent, historique, à balayer du présent et du futur, pourquoi ne consacrons-nous pas plus d’énergie à réfléchir à ses failles, à ses faiblesses, en vue de lui porter des coups dont il ne se remettra pas ? Pourquoi ne voyons-nous pas dans les droits qu’il nous accorde des brèches pour le détruire ? Paradoxalement, il nous semble que ces derniers temps, ce sont jusqu’à des discours militants qui se sont, inconsciemment, fait « relais » de la peur de l’État. Avec cet article, nous cherchons à comprendre comment est-ce que des formes de défiance et de refus de la gestion étatique peuvent au final se retrouver à diffuser une certaine impuissance collective au sein des luttes, en surenchérissant sur la logique de la peur de l’État.
L’hypothèse avancée ici est que cette diffusion très-à-gauche de la peur s’origine dans la tendance à jouer sur les ressorts de l’indignation, du choc et de la sidération pour « scandaliser », en pensant que c’est la prise de conscience de la terreur imposée par l’État qui mobilisera tout le monde. Lorsque dans une manifestation des gens viennent dans le but de filmer toutes les « violences policières » et les partager sur les réseaux sociaux, ils ne se disent sans doute pas du tout que cela participe au travail et au fonctionnement de la police (c’est-à-dire faire peur par le zoom affectif sur des situations détachées de tout contexte et de toute analyse)… bien au contraire, ce qui en ressort c’est un discours qui nous parle de témoignage, de dénonciation de la violence, de journalisme et de liberté d’information ! On peut déplorer que rarement, lors de manifestations, ne se pose la question du devenir de ces images, et qu’elles servent bien souvent (presque même systématiquement) à fournir les fichiers des renseignements généraux et de pièces de dossiers à charge contre les manifestants au tribunal. Alors il s’agit de mettre en scène la brutalité des flics, de pousser des cris, de se lamenter… Mais où cela peut-il bien mener ? À la révolte ? Pas si sûr. Combien de personnes sont terrifiées d’aller en manifestation, parfois sans jamais même y être allées ? Quelle force collective y a-t-il dans une perspective comme celle-là ? Cette manière de mettre en scène des événements autour de ressorts purement affectifs est à mille lieues d’une analyse des rouages de l’État. Cela ne peut qu’empêcher le déploiement d’une raison subversive, d’une réelle critique sociale et d’une praxis révolutionnaire. Les logiques de vente et de marché ont évidemment tout intérêt à imbiber en permanence des événements et des faits sociaux de sensationnel et de pathos victimaire, puisque le rôle de victime est de pouvoir s’adresser jusqu’à la fin des temps à un vain tribunal de l’Histoire : les victimes parlent, produisent du discours, sans cesse récupéré, récupérable, infini puisque la souffrance ne saurait être rachetée. Les médias avides de premières pages émotives adorent les victimes. Mais la révolution ne connaît pas de victimes – ni de héros par ailleurs -, elle ne connaît que des révolutionnaires qui se sont battus et se font battre. Ne trahissons pas leur mémoire en vue d’une récupération. La révolution est illégale et les révolutionnaires sont coupables ? Très bien, c’est en cela que nous les défendrons. Nous pensons que la logique de la révolte est nécessairement en rupture avec les positions de victimes et de martyrs. Alors que toujours, et sur toutes les formes de luttes, des résistances apparaissent face au contrôle, à la surveillance, à l’exploitation, la gauche préfère fantasmer un contrôle total, dans l’unique objectif de séduire. Ce fantasme de l’État total est justement le fantasme de l’État lui-même. La réalité est bien plus complexe, pleine de failles, de crises et d’aspérités. S’inscrire en continuité avec cette vision mi-effrayée, mi-fascinée d’une sorte d’État omnipotent ne peut se radicaliser que dans deux sens complètement contre-révolutionnaires : soit il devient alors pragmatique de construire un contre-pouvoir qui ne saurait être qu’une opposition étatique au gouvernement alors en place (tiens, voilà la gauche !) ; soit tout apparaît pathologiquement et mystiquement comme un complot absolu, ne laissant plus à chacun que le choix d’être l’exégète de cette morbide sacralisation de l’État qui croît un peu partout dans le monde à notre époque (tiens, déjà Lundi matin et l’Appel qui nous casse les oreilles ?).
Pour que l’État ne soit plus qu’un vieil instrument de domination du passé, vive la Révolution !

Les casseuses sont des casseurs ! Et les casseurs sont des casseuses ! Les voleurs des voleuses et les voleuses des voleurs !

Dernièrement, dans un contexte d’occupation d’universités, nous avons cru entendre dans certaines réunions, que la casse, que les dégradations seraient exclusives aux “mascus”, aux “mecs-cis”. Comment ne pas penser que ce discours reproduit la détermination, voire la naturalisation de la violence comme étant masculine (et la douceur étant féminine ?). Au sein des mouvements sociaux, dans les luttes et les occupations (qu’il s’agisse de casse des machines à café, des vitrine de banques, de barricades enflammées…), la casse matérielle serait donc le propre exclusif des “mascus” !
Un tel lien présuppose que quand quelqu’un s’attaque à quelque chose, ce qui est important est le qui et non pas le quoi. Ce qui devrait nous intéresser devrait plutôt être à quoi cette personne s’attaque et non pas ce qu’elle est dans son essence, son identité.
D’autre part, une telle affirmation, un tel lien semble nier toutes les potentialités et les puissances de nos corps, de tous les corps, peu importe leur forme, leur couleur, qu’ils soient corps de femmes, de personnes intersexes ou de personnes trans, pour les figer dans un devenir victimaire absolu. Si nos corps sont opprimés, s’ils ont été écrasés, abîmés, détruits, nous pensons et nous éprouvons leur puissance dans la lutte. Nous croyons à nos corps (et non pas à nos “identités”), nos faisceaux de matières faits de pensées, d’intentions, nos corps qui prennent racine, qui appartiennent à une réalité sociale spoliatrice et agressive, nous croyons à nos corps comme potentiels et réserves de puissances de luttes, de casses, de révoltes infinies, d’émeutes enragées contre toutes les institutions qui garantissent la reproduction de ce monde, qui organisent collectivement la spoliation de notre autonomie et empêchent l’expression de nos individualités libres. Nous pensons, que nous tous qui nous opposons à l’appareil machinique de l’État, que nous ne saurions réduire et figer nos corps à des identités dites “naturelles”, mais bien les dépasser et les subvertir, nos corps comme ensemble et nos corps uns à uns, nos corps en mouvement, nos corps tremblants, nos corps chauds, nos corps vivants nos corps que l’on agi, nos corps avec lesquels et grâce auxquels on agit et que l’on met en mouvement contre les puissances de la mort, nos corps que l’on espère pas réduits à la manière dont ils ont été socialisés et éduqués, nos corps que l’on meut dans des devenirs et des singularités multiples.
Mettre une cagoule, s’habiller en noir, taguer, déchirer, crier casser, brûler : ce n’est pas devenir comme tout le monde, devenir invisible, égal en tous points aux autres cagoulés (même si ça l’est de manière externe pour nous solidariser face à l’appareil juridique et policier) mais c’est aussi s’organiser, se rassembler pour agir ensemble et faire l’épreuve, par notre chair, d’une organisation transversale – et cela peu importe que je sois femme, rat, bizarre, homme, dauhpin, trans, queer, que je sois d’ailleurs, que je sois d’ici ou de là-bas, que j’ai été socialisé comme un animal docile ou comme une brute sauvage, que mes parents soient policiers, chômeurs, juges, bourgeois, aristocrates ou bien prolos ! S’arracher au capital, s’arracher à l’État, s’arracher à toutes les violences devrait être l’affaire de tous ! Si se protéger et lutter contre l’appareil étatique et juridique, son ordre écrasant, étouffant – en noir, en vert, en rouge – si être porteur de conflictualités dynamitées, d’agitations vitales n’était l’apanage que des hommes ou des “mascus”, que ces forces violentes et libératrices leur était par avance et toujours d’emblée exclusivement assignées, que resterait-il alors de la puissance de subversion ? Cette puissance de subversion ne naît-elle pas et ne prend-t-elle pas toute sa force dans ce qu’elle a de plus universel ? C’est cette conception de l’universalité qu’il s’agit de définir : elle ne se comprend évidemment pas comme universel étatique – comme l’universel en tant qu’il est l’apanage de la majorité, comme état stable et identique garant de la conservation et de la reproduction de l’ordre social – et qui englobe des réalités en parvenant à effacer leur spécificités les rendant réductibles les unes aux autres – mais c’est bien d’une universalité concrète, qui s’ancre ici et maintenant, une universalité de tout un chacun, de toutes les minorités, des bizarres, des cagoulés et des découverts, des emprisonnés et des fous dont il s’agit ! Nous croyons que nous nous émanciperons que dans la lutte, que notre liberté ne s’agrandira et ne se déploiera que dans la violence joyeuse, dans la violence vitale, dans la casse comme cri de nos abîmés, de nos misérables, de nos étouffés, de nos morts et nos assassinés ! Que la casse est l’arme de tous, qu’elle est réappropriation, qu’elle est créatrice, qu’elle est pulsion, mais qu’elle est aussi un cri depuis le désespoir et qu’elle permet un espace pour rencontrer des camarades peu importe leur nom, leur sexe, leur origine.. Que la lutte ouvre un espace de liberté, un champ de possibles et de pluralités irréductibles aux espaces cloisonnés et fragmentés, repliés et mortifères du quotidien.

Signé des voleuses et des casseuses

Mort à la justice en tous temps et en tous lieux

Le 29 juin sera rendu le délibéré concernant la procédure d’extradition de dix militants italiens criminalisés depuis longtemps en Italie pour leur participation au vaste mouvement révolutionnaire des années 1970 et installés depuis plusieurs décennies en France par droit d’asile politique. Le site memoires-et-presences.fr tient informé du déroulé de la procédure judiciaire.
La répression des possibilités insurrectionnelles ouvertes en Italie, en Europe et dans le monde entier autour de 1968 s’active encore et voudrait sans doute extirper du passé tout ce qui s’est révolté contre les différentes formes d’autorité.
Il y a plein de manières de ne pas laisser dans l’ombre des tribunaux les dix audiencés, plein de manières de s’opposer au fonctionnement de la justice et de la police, de saboter la répression, mais une des plus belles formes de solidarité dont nous pouvons rêver est celle qui rendrait à nouveau si présente, commune et presque « banale » les insurrections révolutionnaires… A tel point que les magistrats, procureurs et flics de toute l’Union européenne auraient bien d’autres choses à faire que d’essayer de fossoyer tranquillement le passé des luttes… par exemple ils se soucieraient plutôt de fuir les flammes envahissant leurs derrières dans leurs sordides salles d’audience. Feu à tous les tribunaux !

Organisations, mouvement et légalité

Alors que l’occupation de la Sorbonne par des centaines de personnes – étudiants comme lycéens, chômeurs ou autres – trois jours après les résultats du premier tour de l’élection présidentielle offrant le match retour du duel Macron – Le Pen a été largement spontanée et a réuni de nombreux autonomes, la suite du mouvement a souligné avec puissance l’inertie des organisations politiques et syndicales se réclamant de la gauche, voire de l’extrême-gauche et même prétendument révolutionnaire. L’AG inter-université organisée à Nanterre à la suite de l’évacuation policière de la Sorbonne a ainsi été une caricature en acte. Les militants locaux du NPA et de l’UNEF, jugeant gracieusement accueillir des éléments extérieurs, ont tenté d’imposer une tribune composée majoritairement voire exclusivement de leurs membres et, à la suite du vote collectif défavorable à la tribune elle-même, s’arrogèrent quand bien même le monopole du mégaphone ! Se succédant dans les prises de parole, ces militants de la révolution autoritaire raisonnants se voulurent montrer seuls raisonnables : des grandes démonstrations inutiles au regard du profil des participants sur le néolibéralisme autoritaire de Macron et le danger fasciste de Le Pen, pour opposer tacitement – curiosité pour des militants se prétendant marxistes et partisans de la dialectique..! – l’organisation de long terme, politiquement sérieuse, et l’aventurisme court-termiste. Résultat des courses ? Quelques heures de petits plaisirs sous les rayons du soleil ! Comme dirait l’autre, que demande le peuple… ?
Rebelote mercredi 20 avril à Jussieu où cette fois la tribune s’impose ! Généralité après généralité, quelques valeureux en recherche d’action émigrent sans illusions vers Aubervilliers et son campus Condorcet élitiste, sur-sécurisé et bunkerisé, n’étant bon qu’à faire grimper les prix de l’immobilier et repousser les pauvres plus loin de la capitale, pour rejoindre l’AG appelée par les étudiants de l’EHESS. Ô surprise ! Une grosse centaine de jeunes qui discutent dès le commencement de luttes immédiates et qui, fort logiquement, décident rapidement et à l’unanimité d’occuper le bâtiment. Les entrées bloquées et les nombreuses caméras couvertes de beaux jets de peinture, le lieu est à nous !
Au cours des trois jours d’appropriation collective de l’endroit, quelques membres de ces mêmes organisations qui venaient de freiner par leur mollesse, leur légalisme et la généralité de leurs discours le mouvement d’occupations naissant se rendirent sur les lieux du crime pour vitupérer dans leur coin plutôt que de participer à la fête contre le manque d’organisation de ces jeunes gauchistes romantiques et fantasmer sur leur rôle décisif à venir, comme toujours selon la vision léniniste, d’avant-garde autoproclamée du prolétariat. A l’arrivée, les organisations structurées ont soit brillé par leur absence (LFI/LO/CGT) soit par leur surplombement ridicule et néfaste pour le jeune mouvement balbutiant (NPA/UNEF).
Qui pour mener des modes d’action vivants et joyeux ? Les militants matrixés d’institutions embourbés dans le légalisme des tractages et porte-à-portes ressentant des frissons d’excitation devant l’interdit d’un simple collage semblent peu à même de réaliser cette tâche primordiale pour toute perspective révolutionnaire.
Contre l’inertie des appareils, célébrons la spontanéité organisée et autonome !

UN SPLENDIDE DEUS EX MACHINA 

Le vendredi 29 avril, on pouvait assister, à l’opéra de Nancy, à une pièce de théâtre dont le titre aragonien de Fou d’amour augurait une agréable soirée pour ceux qui y assistaient. Produit d’une collaboration entre les détenus de la prison de Nancy-Maxéville et les élèves d’une école primaire, on pouvait y entendre en particulier le poème d’un jeune détenu de 23 ans. Nous n’avons pas eu le privilège d’y assister; la suite laisse néanmoins deviner la qualité de son inspiration bachique. En effet, le jeune adepte de Dionysos, trouvant sans doute que la scène – non moins d’ailleurs que sa cellule – était un terrain peu propice à la démonstration de son talent, ambitionna en coulisse d’en faire profiter la rue, plus précisément la ville, mettons plutôt le monde: enfin, il s’était envolé, comme la Médée d’Euripide à la fin de la pièce éponyme pour échapper aux suites de son crime. Preuve s’il en est, les enfants, que l’amour donne bien des ailes !

Mauvais Sang numéro 2 / Édito

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Parce que nous ne voulons pas demeurer complètement impuissants dans un contexte où la possibilité d’une nouvelle guerre mondiale refait surface, où tous les États sont au garde-à-vous pour enrôler, militariser, abrutir et domestiquer afin de sauver la marche forcée du capitalisme, nous faisons paraitre le second numéro du journal agitateur Mauvais Sang. Les différentes versions nationalistes plus ou moins militaires des discours de campagne présidentielle sont encore une fois le faux choix de qui mettra en prison nos compagnons et nos amis et de comment, de qui expulsera les sans papiers et de combien, de qui nourrira la misère sociale et avec quelle intensité. C’est la même continuité répressive qui s’avance derrière chaque proposition politique. A l’encontre de la sacro-sainte démocratie que nous aimerions voir périr, notre perspective, avec ce journal, est de contribuer à agiter le climat social, de participer activement à accentuer et vitaliser les différents conflits qui traversent notre époque, dans l’idée ambitieuse de nourrir des espoirs d’émeutes et d’insurrections et de contribuer à faire survivre et vivre l’histoire révolutionnaire. Plus que jamais la guerre aux frontières de l’Europe suscite un climat où il semble à chacun que l’histoire et l’avenir sont incertains, où de nombreuses évidences s’effondrent, un climat où il est plus que jamais illusoire de cacher la politique sous le tapis : cherchons d’autant plus à activer la haine de toute politique autoritaire !
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Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme.

Perspectives internationalistes en temps de guerre

Quelles sont-elles, et où, et avec qui, les possibilités insurrectionnelles et révolutionnaires en ce moment en Ukraine ? Quelles sont les dynamiques qui vont dans le sens d’une destruction de tous les appareils militaires, de toutes les formes de pouvoir et de contrôle ? Qu’est-ce qui lutte dans la guerre mais contre la guerre, c’est-à-dire contre la logique d’un combat entre deux appareils militaires pour le contrôle d’un territoire et d’une population ? Ces questions doivent nécessairement être tournées vers la pratique, en prise avec une réalité que nous avons encore du mal à saisir, et vont de pair avec celle, plus large, que nous aspirons à pouvoir nous poser sérieusement au niveau international : une intervention révolutionnaire dans le contexte de la guerre en Ukraine est-elle possible ?
Si nous ne parvenons pas à nous la poser, le plus largement possible et au plus vite, dans toutes les langues, tous les pays, depuis la perspective d’en finir avec les États et le capitalisme, nous risquons de voir l’horizon révolutionnaire encore plus malmené et restreint par cette guerre qu’il ne l’est déjà. Nous risquons d’être malgré nous emportés par le courant majoritaire de l’Histoire qui ne va jamais dans le sens de la Révolution : nous risquons de perdre toute autonomie en nous retrouvant entraînés dans la défense d’un des camps en présence – dans ce contexte, dans la défense de la sociale-démocratie bourgeoise et nationaliste, de l’idéologie mortifère, pleine de frontières et de barbelés, du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », c’est-à-dire du droit à se faire exploiter librement par une bourgeoisie bien de chez soi.
Toutes les postures et prises de position hors sol contre la guerre n’y pourront rien.
L’heure n’est pas aux postures, mais à l’intervention.
Nous pensons qu’il est impossible de réfléchir correctement aux différentes formes d’intervention dans une situation de guerre sans un échange intense entre ceux qui sont pris dedans, dans leurs vies et leurs quotidiens, et ceux qui vivent ailleurs et peuvent alors observer d’autres choses grâce à la distance, et en manquer d’autres. Autant les premiers que les seconds ont intérêt à lier leurs interrogations : sans cela, on peut se perdre dans l’urgence, ou on peut se perdre dans l’extériorité complètement hors sol, alors que la Révolution mondiale est un destin commun.
Aujourd’hui nous pâtissons d’une situation de faiblesse historique où nous manquons cruellement de liens, d’échanges et de pratiques communes. Mais la guerre est un moment de crise : tout peut très vite basculer. Nous pensons que tous ceux, de tous pays, qui souhaitent faire advenir une révolution mondiale, devraient multiplier les liens internationaux ! Plus que jamais, il est temps d’éprouver à nouveau la solidarité internationale des révolutionnaires !
Faisons circuler nos perspectives, nos pratiques et nos idées. Traduisons, écrivons, échangeons, dans les luttes, pour les luttes, avec pour horizon la destruction de toutes les frontières, de tous les États-nations et de toutes les fantasmagories de Peuples unis.
Il est temps de réinterroger l’histoire révolutionnaire : à l’encontre des révolutions nationales du XIXème siècle, la nécessité de l’internationalisme face aux limites des guerres d’indépendance nationale a été observée depuis longtemps. Pourtant, nous voilà encore une fois à devoir lutter contre certaines idéologies actives de défense de souveraineté nationale sous prétexte d’anti-impérialisme. À l’aune du XXIème siècle et d’une guerre meurtrière, souvenons-nous que nos perspectives radicalement anti-étatiques ne sont ni mortes, ni oubliées et qu’elles ont plus de sens que jamais !
Alors, qu’est-ce qui freine, depuis trop longtemps déjà, un internationalisme tangible, dont la nécessité nous apparaît d’autant plus lorsque les États-nations sont en crise ? Quels verrous, internes aux mouvements révolutionnaires du monde entier, les empêchent d’éclater au-delà de leurs propres frontières ? Quels qu’ils soient : faisons-les éclater, et demandons-nous comment ! Nous pouvons pour cela nous appuyer sur l’histoire foisonnante des oppositions révolutionnaires aux différentes formes de léninisme depuis maintenant plus d’un siècle : elles ont permis de sans cesse maintenir des conflictualités à l’intérieur des luttes, des crises et des guerres, contre tout ce qui allait dans le sens d’endiguer les révoltes multiples dans des cadres nationaux et réformistes.
Pour la Révolution, en Ukraine, à l’Est, à l’Ouest, au Nord, au Sud, au Zénith et au Nadir sur toute la Terre et plus loin, détruisons toutes les Nations, leurs armées et leurs économies.
Contre les dictatures, contre les démocraties,
Vite, vite, vite, retrouvons-nous pour nous demander : COMMENT ?