Anticonstitutionnellement et alors ? Perspectives de lutte contre les frontières

Depuis quelques années, l’air devient irrespirable. À chaque fait divers, meurtre ou viol impliquant une personne sans-papier ou d’origine étrangère, tous les médias en font la une et tous les politicards appellent à un sursaut de l’Etat. Une OQTF pas appliquée ? Inacceptable !! Un migrant qui aurait dû être expulsé, l’Etat a failli dans son devoir de protection du peuple français ! Encore, lors des émeutes de juillet 2023, on entendait ici et là ceux qui pointent du doigt les immigrés comme responsables de la révolte qui a secoué la France. Depuis, les groupes d’identitaires et autres néo-nazis grandissent un peu partout, à Lyon, à Paris et dans de nombreuses villes, rêvant d’importer les émeutes racistes qui ont eu lieu en Irlande début novembre ou d’il y a quelques années en Allemagne, lors des émeutes à Clausnitz. Ce qui s’est passé après Crépol représente une tentative qui n’a pas pris et où « Gros Lardon » et ses amis se sont ridiculisés. Le gouvernement surfe sur la vague raciste qui monte et qui fantasme ce pays de merde pour renforcer le pouvoir des flics aux frontières et des juges, et pond la loi « Asile & immigration ». Une loi xénophobe qui prévoit un virage encore plus strict dans la gestion de l’immigration : quotas migratoires, fin de l’automaticité du droit du sol, régularisation des sans-papiers seulement dans des « métiers en tension », durcissement de l’accès aux prestations sociales pour les immigrés et des conditions du regroupement familial, rétablissement du délit de séjour irrégulier et une facilitation de l’éloignement des étrangers considérés par l’Etat comme représentant « une menace pour l’ordre public ». Le texte a été censuré partiellement par le Conseil Constitutionnel pour un certain nombre d’articles, notamment ceux qui concernent les quotas migratoires, l’accès aux prestations sociales et au regroupement familial, la réforme du droit du sol et le délit de « séjour irrégulier » : pas de grande surprise et cela ne change rien à la nécessité de lutter contre ces foutues frontières, que ce Conseil Constitutionnel n’abolira jamais. La droite et l’extrême-droite réclament d’ailleurs déjà une réforme constitutionnelle pour pouvoir faire passer ces mesures dans le futur, alors que la loi a été promulguée dans la foulée.
De l’autre côté du Rhin, en novembre 2023, une réunion réunissait des pontes de l’extrême-droite allemande, autour du parti AfD et autres néo-nazis, pour parler projet de « remigration », incluant une expulsion des étrangers ainsi que des allemands d’origine étrangère. Le fantasme des militants Reconquête ou autres fachos ! L’annonce de cette réunion secrète, rendue publique, engendre une grande réaction de la part des partis démocrates qui ont appelé à de grandes manifestations. Bien sûr, ce genre de lois, si elles étaient appliquées, serait un gros bouleversement. Mais est-ce que ça n’aurait vraiment rien à voir avec ce monde de merde ? Pourquoi les mêmes partis politiques qui s’indignent en Allemagne sont peu ou prou les mêmes qui vont voter la loi Immigration en France ? En France, à quel point la loi Immigration va intensifier des dynamiques déjà présentes auparavant ? Il ne s’agit pas de minimiser ce qui s’est décidé, qui représente un pas nationaliste et xénophobe de plus, mais plutôt de voir en quoi il s’agit d’une continuation de la même volonté de contrôle, de gestion, de tri et de sécurité. Assimilation, intégration, insertion, ou expulsion : toujours le même vocabulaire pour voir dans l’altérité et l’étranger un ennemi, un danger.
Par ailleurs, les raisons pour lesquelles les partis de gauchistes s’opposent à cette loi sont douteuses, pétries d’un intégrationnisme nationaliste et méritocratique que nous connaissons bien. Faut-il que les sans-papiers soient des héros pour avoir le droit de rester à l’intérieur des frontières sans vivre sous la pression constante des keufs ? Faut-il qu’ils soient heureux et reconnaissants d’avoir le privilège de travailler en restauration, à l’usine, dans le BTP, ou à l’hôpital pour être sûrs de ne pas risquer la taule et l’expulsion ? Le travaillisme et le paternalisme les plus crasses sont encore bien trop ancrés dans les discours et dans les pratiques qui prétendent s’opposer à cette loi. Faut-il rappeler ici que c’est cette même gauche réformiste qui a finalisé la création des CRA en 1981 ou qui a légalisé la rétention des familles en 2016 ? Mi-janvier, une partie de la gauche syndicaliste et associative (SINGA, CGT) a fait preuve, encore une fois, d’un paternalisme dégueulasse en proposant une manifestation (celle du 21 janvier) sans se concerter avec les collectifs de sans-papiers, et en laissant de côté certains mots d’ordre en raison de désaccords politiques. Ces désaccords portaient sur l’inscription dans l’appel de la nécessité de la régularisation de tous les sans-papiers et de l’abolition des frontières… Le communiqué conjoint de plusieurs collectifs de sans-papiers d’Île-de-France a fustigé à juste titre cette démarche paternaliste et a rappelé la nécessaire et essentielle question de l’auto-organisation dans la lutte, dans des formes adaptées aux situations de chacun !

Auto-organisation et solidarité contre la machine à expulser

La lutte contre les frontières, du point de vue révolutionnaire, est une question centrale. La frontière est l’un des piliers de l’Etat qui fonde l’identité nationale, le peuple, l’armée.
Mais comment lutter contre une loi en dehors des échéances légales ? Les textes de lois ne s’appliquent pas par le simple fait d’exister sur le papier. Les juges condamnent en sachant qu’ils ne peuvent pas envoyer en prison de manière illimitée, les flics arrêtent en pensant au nombre de places dans leurs cellules de garde à vue, les profs savent qu’il n’y a pas plus de 4 coins dans une salle de classe. Pareil pour les CRA (centre de rétention administratif), pour les avions qui expulsent, pour les flics aux frontières, etc. Or, depuis des années, tous les gouvernements cherchent à augmenter le nombre de flics, le nombre de prisons, le nombre de CRA, dont une dizaine sont en construction en France en ce moment même. Il est donc urgent d’investir les luttes qui existent et existeront contre la construction de nouvelles taules, contre les rafles et les expulsions, contre les collabos qui balancent ou exploitent les sans-papiers.
Le 22 juin 2008, un incendie ravage le CRA de Vincennes, qui brûle plusieurs bâtiments, suite à une révolte de sans-papiers enfermés à l’intérieur. Après cet incendie qui, en plus d’avoir permis de nombreuses évasions, a fait fermer le CRA pour plusieurs mois, les rafles se sont faites moins courantes dans les rues de Paris, tout simplement parce qu’il n’y avait plus assez de places pour enfermer les gens avant de les expulser ! Par la suite, de 2008 à 2013, une lutte qui touche la France, mais aussi la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, voit la solidarité avec les sans-papiers grandir sous la forme de sabotage divers (DAB, voitures, agences cassées et taguées…), de manifs de soutien devant les CRA et de « balades » contre les collabos de la machine à expulser (banques, Croix-Rouge, BTP, intérims…) et d’occupations de bâtiments.
Cela s’inscrit dans une certaine histoire des luttes : quelques années auparavant, de 1996 à 2005, les aires autonomes s’auto-organisaient sur un même terrain de lutte que les collectifs de sans-papiers, sous forme de collectifs (Collectif Papiers Pour Tous en 1996 puis Collectifs Anti-Expulsions en 1998) et intervenaient de diverses manières contre l’enfermement et les expulsions de sans-papiers (campagnes d’attaques contre ceux qui participent à la machine à expulser, opposition à la construction de nouveaux CRA, interventions aux aéroports et dans les gares pour empêcher les expulsions).
Comme ces exemples le montrent, il est vital pour l’offensivité des luttes d’être capables de dépasser la position de « soutien » ou d’ « alliés » que d’aucuns voudraient faire la seule manière de lutter sur la question de l’enfermement et des expulsions de sans-papiers, une position qui ne mène au final qu’à l’attentisme et au paternalisme. Il est tout à fait possible, et essentiel, de s’auto-organiser en prenant en compte les différences de situation, qui concernent ici la détention des bons papiers ou non. L’autonomie et l’auto-organisation des sans-papiers se sont construites sans – et même contre – la gauche qui les infantilisait depuis des dizaines d’années… Que cette dernière reste à sa place naturelle et pitoyable, en « soutien », à la traîne des mouvements, à essayer de vendre sa soupe démocrate ! À nous révolutionnaires de nous organiser ensemble, pour être réellement solidaires des collectifs de sans-papiers, et lutter concrètement et offensivement contre la machine à expulser.

Étrangers, ne nous laissez pas seuls avec les Français !

Les révoltes des enfermés des CRA sont courantes et devraient être accompagnées d’une grande solidarité par le mouvement, de même que les évasions, comme celles qui ont eu lieu le soir du 24 décembre au CRA de Vincennes où 11 personnes ont pu retrouver la liberté ! Le soir du 31 décembre dernier, 12 personnes se sont fait arrêter aux abords du même CRA, accusées d’avoir envoyé des feux d’artifices, une pratique courante pour manifester sa solidarité avec celles et ceux enfermés entre quatre murs. Le procès de cette affaire aura lieu prochainement et la solidarité avec les inculpés est primordiale ! De même, un procès aura lieu ultérieurement concernant quatre camarades interpellés lors d’une manif devant le CRA de Vincennes le week-end du 27 janvier.
La lutte contre la loi Asile & Immigration en est encore à ses débuts et il est important de ne pas se laisser guider par un quelconque agenda parlementaire. Ce que nous voulons, la destruction des frontières, l’Etat ne nous le donnera pas. Dernièrement, le mouvement semble se dynamiser : des collectifs de sans-papiers sont en grève et appellent aux actions et aux manifs depuis quelques mois, en janvier des blocus récurrents dans les lycées et les facs suivies parfois de manifs sauvages se sont organisés à Paris, à Bordeaux, à Rennes ou à Nantes. D’autres attaques centrées sur les collabos de la machine à expulser se produisent, comme en décembre 2023 à Paris où l’aménageur A2M, qui propose des plans pour les CRA, a vu ses vitrines étoilées et redécorées, ou dans le Calvados en janvier, où la compagnie d’avions Chalair qui fournit des avions à la PAF pour des expulsions, a été taguée. Il est grand temps d’accélérer la dynamique en s’attaquant aux rouages de la machine à expulser et en s’affranchissant du cadre de la gauche qui voudrait tempérer et maîtriser notre colère à tous.
Pour la destruction des frontières et la liberté pour tous, avec ou sans papiers !

Mauvais Sang numéro 5 / La démocratie, c’est la réaction

Cliquer sur l’image pour télécharger le pdf du numéro 5

Ici comme ailleurs, en Iran comme en France, la démocratie présente une dynamique contre-révolutionnaire à laquelle il nous faut nous confronter pour peu qu’on prenne la question de la révolution au sérieux. L’« honnête » démocrate présente souvent son fétiche comme l’aboutissement définitif des périodes de luttes… prêtant à des gens qui se sont soulevés, parfois en en payant le prix de leur vie, des intentions et des revendications réformistes qui sont en réalité les siennes et qui intéressent surtout la bourgeoisie. La démocratie s’améliore toujours plus, paraît-il, en instituant à l’intention de l’honnête citoyen de nouvelles manières, toujours plus consensuelles, de participer aux processus décisionnaires au sein de l’appareil étatique qui aboutissent au mieux à voter des mesurettes contre les discriminations sociales, au pire à légitimer le fait de se faire toujours plus fliquer… Cette batterie de réformes n’a jamais rien d’un aboutissement pour tous ceux qui continueront de subir l’ordre, le contrôle et le travail. Là où la démocratie succède à un autre régime, elle signe bien plus souvent la fin et l’échec d’un processus révolutionnaire porteur de perspectives qui débordent largement la pitoyable question de savoir si la démocratie est le meilleur régime ou non. La belle âme démocrate, derrière son consensualisme et sa pondération, n’est en définitive qu’un vieux flic qui court après les luttes en se présentant d’abord de gauche, progressiste, camarade, avant de plaquer les barreaux de sa modération sur nos espoirs d’émancipation. L’État iranien, qu’il soit l’actuelle théocratie qu’on sait désormais mortelle, ou la prochaine démocratie du Moyen-Orient gérée par de minables bureaucrates et, pourquoi pas, administrée par des fliquettes aux cheveux découverts pour la vitrine « progressiste », conservera son nécessaire arsenal contre-révolutionnaire : des institutions, des tribunaux, des commissariats, afin que le contrôle et la répression soient toujours là pour veiller à la bonne mise au pas de révoltés qui, une fois le régime des mollahs renversé (ce qui n’est pas une mince affaire), devront reprendre leur vie de labeur. Pour que, justement, l’avenir de la révolution iranienne ne soit pas démocrate, c’est-à-dire ne soit pas un avenir entravé par une perspective réformiste d’État, mais pour qu’il puisse au contraire être débordé par d’autres révolutions, sans frontières, au Moyen-Orient comme ici et sur toute la Terre, et plus loin, il est vital qu’en France nous nous insurgions contre toute captation démocratique, contre tout ce qui permet, par exemple, à Macron de féliciter les femmes iraniennes et de s’ériger en continuité des luttes vivantes qui brûlent des commissariats, soulèvent des prisons et saccagent les ordres policiers et militaires. Présenter la démocratie, les droits de l’homme, des femmes et des minorités comme l’aboutissement d’insurrections n’est qu’un racket permanent qui voit dans tout mouvement le début d’une fin qu’il s’agirait de précipiter dare-dare pour barrer l’avenir et préserver l’État, et non pas le début d’un renversement de l’État qui nous ouvre un avenir plein de promesses : insurgeons-nous, ici et maintenant, contre les récupérateurs démocrates des soulèvements.
Insurgeons-nous aussi contre ces prophètes de l’anti-impérialisme, et ces charognards de la politique et évangiles au verni gauchiste qui souhaitent minimiser la portée blasphématoire et déicide de la révolte en Iran en essayant de nous faire avaler que l’insurrection en cours porterait un libéralisme religieux ; faisant d’odieux parallèles entre la situation des femmes en Iran et celle des femmes voilées en France, ne permettant, dans un premier temps, aucune réflexion quant à la spécificité de l’État iranien et, dans un deuxième temps, faisant de la liberté religieuse un parangon de l’émancipation alors que Dieu est mort et que si son corps agonisant subsistait, nous devrions le retrouver au plus vite afin de mettre un terme à nos souffrances. Ces mêmes anti-impérialistes qui voudraient nous faire croire dans un discours à demi-mot complotiste que ces soulèvements sont dus à une manipulation américaine, qui la semaine d’avant pointent l’orientalisme des européens dans leur fascination pour ces révoltes : bande de pourritures, vous n’êtes que le miroir du gouvernement projetant une image inversée de celui-ci, allez à Dieu avant que l’on ne le submerge de démons avides de subversion, d’émeute et de désordre.
À tous ceux qui estiment que le minable octroi de réformes et de droits vaut bien les milliers de vies qui n’ont même pas toutes été mises en jeu pour elle, FUCK. C’est pour la liberté que nous nous soulevons, non pas pour voter pour des gauchistes de merde de tous les pays. Ne voir dans les slogans «Mort aux dictateurs», «Mort à la police des mœurs» que l’expression d’une perspective purement démocratique, c’est nier que les commissariats sont cramés et des flics tués aussi parce que ce sont des commissariats et des flics, et non simplement les commissariats et les flics d’une dictature. C’est nier que, actuellement, des révoltés expérimentent à travers la lutte la possibilité de renverser réellement l’État iranien dans sa fonction d’État, et donc pas seulement dans sa spécificité d’être une abjecte théocratie fanatique.
Alors, puisque le 4 décembre, la théocratie concède un premier mouvement de réforme pour changer de stratégie face à la révolte, en abolissant la police des mœurs, et que le procureur général Montazeri présente cette dernière disparue comme n’ayant rien à voir avec le pouvoir judiciaire, il est plus qu’urgent de ne pas tomber dans le panneau du renouvellement des outils répressifs. Il n’y a pas de justice sans police… Et toutes les polices ont un mauvais goût de police des mœurs ! Toutes les religions ont une mauvaise odeur de théocratie ! Tous les droits nourrissent des tribunaux qui nous condamnent !
C’est en solidarité avec ces révoltes qui grossissent et perdurent en Iran, mais aussi avec celles, plus récentes, qui éclatent actuellement en Chine, que nous faisons paraître ce numéro 5 de Mauvais Sang, un journal bâtard pour la révolution, dans l’espoir d’agiter de féroces critiques en acte de tout ordre étatique, moral et religieux. Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.

Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme

RÉPONSE ANACHRONIQUE À UN FOSSOYEUR DE LA COMMUNE

Vive les pétroleuses !

À propos des destructions par le feu durant la Commune de Paris des archives des registres paroissiaux et d’état civil, l’archiviste Auguste Jal écrit en 1872, dans son Dictionnaire critique de biographie et d’histoire :
« Si je prévoyais les révolutions, si je pensais qu’on pourrait revoir la terreur, je ne prévoyais pas qu’on s’attaquerait à d’innocents recueils de documents où le pauvre, le roturier, l’artiste, l’artisan, sont côte à côte avec le riche, le noble, le partisan, le ministre, le prince. »
Évidemment qu’un connard comme toi (qui n’a eu dans ta vie que pour seule obsession de devenir soldat et qui, ayant échoué, a trouvé bon de dédier sa vie au bon fonctionnement de l’appareil d’État en se retrouvant à fouiner dans les archives de la Marine nationale) ne comprends rien à ces destructions. Ton seul imaginaire de la révolution, c’est la Terreur, c’est-à-dire ce qu’il y a parmi toutes les choses que peuvent enfanter d’une révolution, de plus autoritaire, de plus judiciaire, de plus sanglant, de plus étatique. Non, il n’y a pas une égalité du noble avec le roturier dans (ni par) ces documents.
Tu aurais préféré que les communards et les communardes se laissent crever au nom de « l’unité nationale » et du « salut public » ? Bien sûr qu’ils se sont battus. Lorsque le 21 mai 1871, les troupes versaillaises dirigées par Adolphe Thiers rentrent dans Paris pour réprimer cette insurrection qui durait depuis 2 mois, l’ordre est donné de tirer sur les communards.
Certains monuments et maisons ont été brûlés intentionnellement pour retarder l’avancée des troupes versaillaises. D’autres incendies ont été déclenchés par les canons versaillais qui crachaient de tous leurs feux sur les communards. Mais ce serait à la fois faux et terrible de dire que des bâtiments comme le Palais de Justice, la Préfecture de Police, l’Hôtel de Ville ou encore la Cour de Cassation seraient partis en fumée par erreur dans le chaos des combats. Ce sont bien des communards qui ont mis du pétrole et des barils de poudre pour aider le feu à se propager. Il n’y a pas, comme tu le prétends de dossiers qui recensent une population qui soient « innocents ». Cela témoigne juste d’une confiance aveugle en l’État digne d’un scribouilleur appointé tel que toi. Tous les pouvoirs, de la monarchie à la république, en passant par l’empire, ont recours à la justice, à la police, au fichage. C’est peut-être un des seuls domaines où il y a, dans l’histoire humaine, un progrès ininterrompu. Tous les régimes qui accèdent au pouvoir utilisent les fiches précédentes pour mieux régner. Tant que l’État survit aux révolutions, il y a une continuité administrative. Les registres d’état civil et paroissiaux, qui indiquent les naissances, les mariages, les décès, ne sont qu’un premier pas vers la création des passeports, de la carte d’identité. Ils sont une base nécessaire à la mise en place des frontières, de l’armée (pas de conscription sans recensement), de l’impôt, de la propriété privée (notamment via l’héritage).
Le bertillonnage, qui s’est développé à Paris quelques années après la Commune, à partir 1879, n’hésite pas à utiliser la technologie, assez récente, de la photographie, pour améliorer ses fiches d’identité, notamment pour lutter contre les offensives anarchistes de la fin du siècle. Mensuration des corps des criminels, photographies de face et de profil. En 1898, a lieu en Italie la Conférence internationale de Rome pour la défense sociale contre les anarchistes, futur Interpol, qui veut développer la collaboration entre les polices des différents États. Les livrets d’ouvriers, le carnet anthropométrique, le livret de circulation, etc. Tout semble suivre la même voie, un document, d’abord exceptionnel, aux limites d’utilisations, avec le temps se généralise, se croise avec d’autres fichiers, et devient obligatoire.
Qui sait ce que les communards (parfois anonymes et qui ont réussi à échapper à l’exécution sommaire, à la condamnation à mort ou à la déportation) avaient en tête au moment de mettre le feu à ces lieux ? Peut-être ces incendies étaient-ils moins dus à des circonstances extérieures qu’à la volonté mûrement réfléchie de mettre des bâtons dans les roues de la répression qui, au nom de la 3ème République, allait bientôt s’abattre sur eux.
Dans les années qui suivirent la Commune, des débats nécessaires et conflictuels, entre marxistes et anarchistes, réfléchissent à cette tentative de révolution, et les anarchistes critiquent la volonté de certains marxistes de prise de pouvoir. Le pouvoir est maudit ! Il ne s’agit pas de le conquérir, mais de le détruire. Tu n’as pas participé à tous ces débats fondamentaux de la fin du 19ème siècle, tu es passé complètement à côté. Tu as préféré cracher sur les communards, leur sang pas encore séché, pour servir de la bouillie de justification intellectuelle à leur répression.
Les communards qui ont brûlé ces bâtiments ont frappé juste. Nous aurions même besoin aujourd’hui de davantage de pétrole pour s’assurer de la disparition définitive des locaux qui abritent les serveurs qui stockent les fichiers déjà innombrables et qui ne cessent de se multiplier encore : empreintes (FAED), ADN (FNAEG), fiches S, passeports, carte d’identité, carte vitale, TAJ, Fichier des personnes recherchées (FPR), GendNotes, etc. Qu’ils soient dédiés à la surveillance, à l’enquête judiciaire ou à l’administration, l’objectif de ces fichiers est toujours la sûreté de l’État et son bon fonctionnement, la paix sociale.
Solidarité avec les incendiaires de tous lieux et de toutes les époques ! Ressuscitons les pétroleuses !

Contre l’identité

Pour tout ce qui s’est perdu depuis l’avant du toujours, qui n’a pas trouvé le bon chemin, qui n’a pas brillé, ce qui est resté terne et banal, qui s’est égratigné sans fin contre des murs sombres et uniformes, pour ce qui n’a pas compris, qui n’a pas trouvé le Sens, la Parole ou le Discours, ce qui s’est trompé, qui s’est envolé très très loin, là-bas où personne jamais n’est allé
Pour ce qui est laid, ce qui crie, ce qui a mal et qui a honte, pour ce qui est très très moche, ce qui hurle, ce qui étouffe, pour ce qui est condamné d’avance à l’asphyxie, pour ce qui meurt à l’infini
Pour cela même pris par toutes les maladies, pour cela fou qu’on emprisonne, pour les humanités qui ne rencontreront que la roche et qui s’effritent contre des vides gigantesques, pour ces humanités que jamais l’on rencontre
Pour cela qui a faim, ce qui n’existe que de sa soif, ce qui pleure et s’épuise, ce qui coule dans le travail et dans les forteresses du capital, ce qui s’éteint dans le désespoir et la tristesse, cela qui jamais vit
Pour tout ce qui n’a ni pays ni nom ni quoique ce soit
Pour ce qui n’existe que de sa maladie, de son rien, de son vide
Pour ce qui stagne dans des sphères vaseuses, pour ce qui naît sans bruit, qui naît à peine, ce qui s’effondre à l’idée d’être, ce qui n’est que mouvement, qui est un tout de rien, un rien de tout, ce qui ne se dit pas, ce qui ne se dira pas, qui ne cherche ni ne possède les mots, ce qui n’a pas l’idée qui n’a pas d’idée, ce qui fait l’expérience du rien, que du vide, qui n’est habité que de sa douleur
Pour ce qui déborde, ce qui dépasse, ce qui surpasse, ce qui explose avant de n-être, ce qui passe sans rester, ce qui advient sans stagner, ce qui s’allume, ce qui rigole à perpétuité, ce qui éclate sans fin d’absurdité
Pour tout ce qui s’écroule à l’idée d’être, pour ce qui meurt avant même l’identité
Pour ce qui se réveille depuis des siècles dans une nuit qui dure depuis toujours
Pour tout ce qui jamais n’est et jamais ne sera

Stigmate et selfie

Texte reçu par mail

«Quiconque aura été condamné à l’une des peines des travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps ou de la réclusion, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique : il y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de sa tête sera placé un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation.»
Article 22 du Code Pénal de 1810

-Chapeaux bas ! chapeaux bas ! criaient mille bouches ensemble. Comme pour le roi.
Alors j’ai ri horriblement aussi, moi, et j’ai dit au prêtre :
– Eux les chapeaux, moi la tête.
Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné

À chaque fait divers affreux, à partir du moment où il est relayé par les médias de grande écoute, s’accroche une cacophonie d’opinions ressentimenteuses et c’est comme ça, entre autres, que la Réaction refait salement le monde. Le meurtre récent de la petite fille prénommée Lola offre ainsi une occasion dont beaucoup se sont saisi, d’éructer autour du fantasme des étrangers forcément criminels, et du rétablissement nécessaire de la peine de mort, parce que, quand même, on va pas non plus dérouler un tapis rouge à sa meurtrière, ni la laisser manger tranquillement des salsifis derrière les barreaux pour le restant de ses jours, ou, pire encore, se la couler douce dans une unité carcérale psychiatrique où, sous prétexte qu’elle serait folle (ou simulerait la folie, ils sont pas si fous que ça les fous, tous des profiteurs), on lui permettrait d’échapper au tribunal en la considérant comme irresponsable selon une loi hasbeen, puisqu’aujourd’hui on doit vivre avec son temps où Gérard et Véronique veulent (puisqu’Hanouna nous le dit) que les fous et les étrangers, on les bute direct. Le laxisme, les droits de la défense, l’irresponsabilité pénale, ça va bien 2 minutes et Gérard et Véronique en ont marre de se faire manger la laine sur le dos et assassiner leurs enfants.
À ce sketch misérable s’ajoute, dans cette histoire-là, dont la réalité est effectivement particulièrement épouvantable, une fascination-répulsion qui fait le buzz au café du coin et sur les réseaux sociaux, pour la « présumée coupable » comme Hanouna croit malin de la présenter, Dahbia B., jeune femme de 24 ans. Des images de Dahbia B. circulent, celles que la presse à sensation ou les enquêteurs du dimanche peuvent trouver, et, quoiqu’elles soient d’une extrême banalité, elles font scandale. On s’offusque de voir l’image de vidéosurveillance de Dahbia B. rentrant dans l’immeuble, ou les publications de son compte TikTok quelques jours avant le meurtre, et, s’en offusquant, on démultiplie encore la circulation de ces images sur lesquelles on voit… une jeune femme de 24 ans rentrer dans un immeuble ou faire un selfie à sa fenêtre. On voudrait se demander ici pourquoi ces images qui ne montrent rien d’autre que ce que ceux et celles qui s’en offusquent diffusent d’eux-mêmes tous les jours sur les réseaux sociaux, font scandale.
D’abord, on leur reproche sans doute leur normalité justement. On y cherche en vain le signe du crime qui va être commis, et, ne le trouvant évidemment pas, on invente que c’est encore pire, le signe est caché, quelle fourberie ! La frontière entre normalité et monstruosité se brouille : elle me ressemble et elle a commis un crime atroce, c’est insupportable. On la voudrait sans doute ricanant à la pensée de l’horreur qu’elle ne sait pas encore qu’elle va commettre, on lui en veut de ne pas se montrer avec des cornes poussant sur le crâne, ou des canines prêtes à rougir du sang de sa future victime. Mais non. Trois jours avant le meurtre, elle se prend en photo comme si de rien n’était. Ça se voit qu’on ne voit rien, et il faut qu’elle paye pour ça. Pour qui elle se prend ? À mort.
Cette fascination, qui se tient déjà sur le chemin du lynchage, n’est pas sans évoquer cette marque que l’Inquisition cherche sur le corps des sorcières, et qu’elle trouve immanquablement puisqu’elle doit y être. Elle est d’autant plus avérée qu’il n’y a rien à voir, puisqu’elle est en fait nulle part ailleurs que dans les yeux de celui qui regarde. Le corps observé, quel qu’il soit, montrera ce qu’il y a à montrer. C’est la même marque des sorcières qu’on cherche sur le visage de Dahbia B., dans la normalité de ses selfies, et qu’on va y trouver justement parce qu’il n’y a rien de spécial à y voir. C’est cette absence d’anomalie qui va devenir le signe de la bête, un surplus d’horreur, la preuve de sa culpabilité et de la nécessité d’aspirer à son exécution sommaire.
L’exhibition littéralement obscène de ces scènes banales qui affolent les regards n’a pas rien à voir avec l’ostentation du corps du Christ, de ses stigmates, corps banal, humain, qui prend sur lui tous les péchés du monde. C’est ce qu’on cherche un peu dans les selfies de Dahbia B., des stigmates, la trace visible de la noirceur présumée de son âme, dans l’espoir dérisoire de se retrouver soi-même innocenté par l’exposition à ces stigmates invisibles. C’est sans doute aussi pour ça que tout un chacun commente là où il n’y a rien à dire. Comme une communion, pour acheter son petit bout de paradis alors que Dahbia B., qui n’a pas d’ascendance divine (au contraire, elle n’est même pas d’ici !) ira en enfer, ça au moins c’est déjà gagné, il suffit d’y croire.
Ce visage apparemment insupportable à regarder, mais sur lequel se concentrent pourtant les regards (on le rappelle, il s’agit de quelqu’un qui n’a alors rien de spécial à montrer, puisqu’on est justement avant le meurtre…), c’est aussi le corps du condamné qu’on exhibe avant de l’exécuter, dans le carcan en place publique, ou sur la carriole traversant la foule venue assister à l’exécution. L’inverse du corps du Roi, montré comme apprêté, déifié, parfait. Un corps semblable à ceux qui le regardent, mais si différent cependant par ce qu’il a commis, qu’on reconnaît comme coupable en se reconnaissant comme innocent, et qu’on accompagne vers la guillotine. Cette apothéose spectaculaire de la culpabilité incarnée déchaîne des passions qui seront satisfaite par l’exécution ou le supplice, publiques aussi. Alors, de nos jours, si des formes de cette exhibition perdurent, à travers ces déchaînements passionnels invectivant le visage de la jeune fille qui ne montre pas assez qu’elle va commettre un meurtre atroce, la peine elle-même est cachée aux regards, derrière les hauts murs et les barreaux des prisons. Pas d’exutoire pour ces passions dégoûtantes, et le supplice reste un fantasme intériorisé par Gérard et Véronique devant leur poste de télé, et si bien relayé par Hanouna, qui a sans doute pris un café avec eux ce matin et qui sait qu’ils ont besoin pour survivre que Dahbia meure dans d’atroces souffrances au lieu de continuer à tuer leurs enfants après avoir souri sur un selfie.
Addendum : s’il était besoin d’une preuve supplémentaire de la nocivité des passions qu’agite Hanouna, le récent attentat visant les kurdes en fournit une. Il n’est pas absurde d’imaginer que l’auteur se soit abreuvé de l’émission TPMP et de la haine raciste et xénophobe qu’elle véhicule au point de former la « voix-off » même de son existence. À l’instar du personnage incarné par Philippe Nahon dans Seul contre tous de Gaspar Noé, il faut l’imaginer aller de-ci de-là en portant son racisme en étendard de la vraie justice, en ruminant une vengeance infinie contre une société gangrénée par la « racaille étrangère », celle-là même dont le tribunal obscène d’Hanouna construit l’image face caméra — une face, une caméra qu’il faut DÉTRUIRE.

Les prix flambent, les amendes pleuvent, et moi-même je ne me sens pas très bien…

On se prend des amendes à tour de bras. Tous les prétextes sont bons : rassemblement interdit, fraude des transports en commun, achat ou vente de clopes à la sauvette, condamnation en justice pour X ou Y faits… et notamment le refus de donner ses empreintes en garde à vue. Peu d’argent sur le compte en banque implique des situations de fraudes diverses qui font partie intégrante de nos quotidiens, et qui, trop souvent, se soldent par des amendes, ce qui n’arrange pas l’épaisseur du porte-monnaie.
Mais bordel, on essaierait de nous foutre au taff ou quoi ?
Cette méthode répressive, qui s’attaque aux mouvements sociaux (surtout depuis le mouvement des gilets jaunes) comme à la vie de tous les jours, est particulièrement fourbe : taper sur le compte en banque permet de frapper directement sur nos quotidiens en nous forçant à passer toujours plus de temps à nous faire exploiter, sous la menace de ne plus pouvoir payer son loyer. Alors, pour payer, on s’organise pour réunir de l’argent, on emprunte, on s’endette, on fait une croix sur tel ou tel projet coûteux, on se trouve un travail, ou alors on s’organise pour ne pas payer ce qui n’est vraiment pas beaucoup plus simple.
D’autant plus que la nouvelle loi ultra sécuritaire LOPMI (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) prévoit d’étendre les amendes à plein de délits quotidiens : «vente à la sauvette, filouterie de carburant, tags, intrusion dans un établissement scolaire, atteintes à la circulation des trains, rodéos nautiques, striking -fait d’entrer sur un terrain de sport» et de rendre plus difficile leur contestation. Cette offensive de l’État contre tous ceux et toutes celles qui se révoltent contre lui ou essaient de survivre dans ce monde invivable est assez claire. L’État est en train de créer son monde de rêve, un monde sécuritaire, stérile, blindé de flics.
Partout l’étau se resserre, les prix augmentent, le nombre de flics dans les rues aussi, et tout nous indique le chemin d’une vie planifiée d’avance : le travail, le commissariat, le tribunal, la prison, le travail…
Mais notre vie est trop courte pour passer notre temps à réfléchir à comment payer des amendes, à comment payer un loyer. Partout, nous trimons et nous sommes enfermés ! Il est temps que cela s’arrête !
Occupons des bâtiments pour occuper notre temps et filoutons ce monde ! Nous n’avons qu’une hâte : envoyer valser tout ce merdier de bureaucratie capitaliste à coup de pavés et de cocktails molotovs, comme c’est le cas aujourd’hui en Iran, en Grèce et en Chine.

A Thessalonique, forte chaleur en décembre

Texte reçu par mail

À Thessalonique et en Grèce, ça sent le soufre depuis des semaines déjà.
En quelques jours, autour de fin novembre, deux importants squats établis depuis des années, le Prosfiyika à Athènes et le Nuevo Mundo à Thessalonique, ont été évacués par les flics, et le camp de migrants d’Eleonas à Athènes, le plus vieux de Grèce centrale, a été vidé de ses derniers occupants. Le week-end du 3-4 décembre, le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis annonce un bonus de 600 euros pour tous les policiers et les gardes-frontières grecs. Une récompense bien méritée pour ceux qui chassent les migrants, les repoussent aux frontières et les laissent se noyer dans la rivière Evros, ceux qui expulsent les squats et les campements de fortunes, ceux qui virent de chez eux les retraités qui ne peuvent plus payer leur loyer, ceux qui gèrent ces prisons à ciel ouvert que sont les camps de rétentions, ceux qui cherchent à écraser chaque réaction face à la misère et l’autoritarisme de l’État grec. Ces actions policière et ces manœuvres politiciennes décidées par le gouvernement ressemblent fort à une tentative d’accélération de destruction du mouvement contestataire grec et de garantie du support de la police, à l’heure où le parti conservateur nationaliste au pouvoir, Nouvelle Démocratie, semble plus que jamais fragilisé. De quoi en tout cas faire monter la tension autour du 6 décembre, moment auquel surviennent chaque année des affrontements entre manifestants et police grecque en raison de la mort à cette même date d’Alexandros Grigoropoulos, garçon de 15 ans tué en 2008 par la police dans le quartier d’Exarchia à Athènes. Ce jour qui vient est dans les têtes de tous ceux qui crachent sur ce monde de merde, et ces chiens de flics vont alors leur donner une raison de plus d’y prendre part.
Dans la nuit du 4 au 5 décembre 2022, les flics à moto de Thessalonique tirent sur Kostas Fragoulis, un jeune homme de 16 ans, au volant de sa voiture mise à l’arrêt au terme d’une course-poursuite. Depuis l’arrière du véhicule, une balle se loge dans sa tête et le laisse dans un état critique, dont l’issue est encore inconnue. Kostas Fragoulis est accusé d’avoir volé 20 euros d’essence dans une station-service de la ville et d’avoir refusé d’arrêter son véhicule à la demande de la police, après que celle-ci a été contactée par une balance de la station-service et l’ait pris en chasse. 1 balle dans la tête pour 20 balles dans le réservoir.
Quelques heures plus tard, le lundi 5 décembre en fin d’après-midi, à Thessalonique et à Athènes, des milliers de personnes se rassemblent pour réagir à la nouvelle d’un potentiel énième assassinat policier, faisant terriblement écho à celui d’Alexis Grigoroupoulos en 2008, qui avait déclenché une vague d’émeutes sans précédents à travers le pays. À Thessalonique, 1500 personnes créent une émeute dans le centre-ville. Plusieurs devantures sont brisées, les départs de feux se multiplient et les keufs reçoivent cocktails molotovs, bouteilles et pierres en nombre. Devant l’hôpital Hippocrate où a été interné Kostas Fragoulis, des affrontements se déclenchent entre les Roms, communauté dont fait partie le garçon touché, et les flics. À Exarchia, à Athènes, de nombreuses barricades sont érigées et des combats se déroulent jusqu’à tard dans la nuit contre la police.
Le lendemain, le mardi 6 décembre, alors que le flic accusé est au tribunal de Thessalonique, des dizaines de personnes s’y rendent et invectivent les policiers qui gardent l’entrée. Après quelques échauffourées, les porcs frappent le père de Kostas Fragoulis, venu manifester sa colère. Le gouvernement et l’hôpital Hippocrate de Thessalonique refusent aussi catégoriquement de communiquer sur l’état de santé du garçon, dont on sait juste qu’il est dans une situation critique, laissant présager une issue fatale.
À 18 heures à Thessalonique, au moins 5000 personnes se réunissent et marchent en l’honneur de la mémoire de Kostas et d’Alexis, sous le regard d’une lourde présence des “matatzides”, la police anti-émeute grecque. À la fin de la marche, une partie des participants se dirige furtivement vers Ano Poli, la ville haute de Thessalonique, alors que les flics attendent sagement sur la place Kamara pour les affrontements habituels. Le changement de tactique est efficace. En quelques minutes, le secteur autour de l’ambassade de Turquie est transformé en fournaise par les émeutiers. Les poubelles sont renversées et incendiées, les trottoirs martelés pour servir de projectiles et les keufs, surpris et postés plus bas dans la rue Olimpiados, se prennent une pluie intense de cocktails molotovs, de bouteilles, de mortiers et de pierres pendant de longues minutes. Les gaz lacrymos et les grenades assourdissantes ne peuvent rien y faire, la flicaille morfle face à la rapidité et à l’intensité des attaques. Ces salauds ne peuvent que se cacher dans les renfoncements des immeubles, alors que l’un d’entre eux se prend un cocktail de bienvenue en plein torse. Les fumées et les senteurs de plastique brûlé se propagent ensuite alors que les émeutiers se sont tous échappés par les ruelles étroites d’Ano Poli après y avoir clamé leur fureur par leurs actes et leurs cris. Au moment où j’écris ces lignes, aucun compagnon n’a semble-t-il été arrêté à Thessalonique. En une dizaine de minutes, le quartier a été retourné, ces sales flics en ont bavé, et Thessalonique ne m’a jamais paru aussi belle que ce soir du 6 décembre 2022.
Au même moment, à Athènes, les rues d’Exarchia et d’autres quartiers de la capitale s’embrasent aussi et les barricades et les échauffourées s’y multiplient. À Janina, la marche finit par un affrontement direct avec les flics. Pendant la nuit du 6 et le lendemain dans la journée, plus d’une dizaine d’endroits où vit la communauté Rom en Grèce sont le théâtre d’attaques contre la police, notamment à Menidi, où projectiles et molotovs sont aussi utilisés en guise de cadeaux aux autorités. Au terme de tous ces affrontements, plusieurs keufs finissent blessés dans différentes villes grecques, dans ce qui semble être les émeutes les plus violentes depuis 2008.
Au soir du 7 décembre, l’état de santé du jeune homme n’a pas encore été communiqué et les politiciens grecs commencent déjà leur travail de sape pour justifier l’ignominie. Qu’importe, les attaques contre les flics se poursuivent ce soir dans plusieurs villes grecques, à Menidi, Zefyri, Patras, ou Agrinio, où leurs véhicules sont pris pour cible. Espérons tous que Kostas survivra, et que les émeutes se poursuivront encore et encore.
En Grèce comme ailleurs, continuons d’être offensifs et de propager la révolte, pour que jamais les chiens de garde du pouvoir ne puissent dormir tranquille. Et pour cela, allumons les feux !

P.-S. : Le 13/12, l’hôpital a annoncé la mort de Kostas Fragoulis ! Vengeance !

Nous n’avons jamais été aussi vieux !

Jamais autant de temps ne s’est écoulé depuis la formation de l’univers. Jamais autant de temps ne s’est écoulé depuis nos naissances. Nous n’avons jamais été aussi vieux.
Nos morts, certaines, n’ont jamais été aussi proches de nous. La révolution, incertaine, qui renversera tout, où éclatera la vie, où s’ouvriront mille possibles, si elle existera, n’a jamais été aussi proche de nous.
Nos vies ne peuvent que s’allonger, le temps passé dans la résignation ne reviendra jamais, ce sera à jamais un temps où l’on s’est tué au travail, où l’on s’est plié en quatre pour essayer de vivre dans un monde qui ne cherche qu’à nous rendre plus productifs. Nous n’avons pas tout notre temps à gâcher dans une mort lente dans ce monde.
Il y a une urgence quotidienne à tout envoyer chier. Il y a une urgence révolutionnaire.