Christianophobie

En juin dernier de l’an de grâce 2022, la Cour suprême des Etats-Unis a permis à ses états membres d’interdire l’avortement, ce qui a immédiatement été appliqué au Missouri, fer de lance de la lutte contre le fléau hérétique que cette pratique représente. En Espagne, terre de foi et de piété, des manifestations « pour la vie » ont été organisées en soutien à cette décision, s’opposant à la prochaine réforme du gouvernement socialiste en la matière. En France, récemment, un jeune s’est fait condamner par la justice pour « préjudice moral », pour avoir bougé en rythme son fessier (ainsi jugé aguichant et tentant par les autorités pénales et religieuses) au sein d’une église. Il subira également un harcèlement méticuleux de la part de quelques religieux blessés (et donc, quelque part, tentés) et autres nostalgiques de l’époque de l’Inquisition catholique. Loin de provoquer notre indifférence, ce climat de sainteté nous pousse (peut-être sous la pression du Malin) à rappeler quelques faits notoires : Dieu est mort, la Vierge aurait peut-être mieux fait d’avorter et Jésus n’était qu’un barbu parmi tant d’autres. « Blasphème ! Hérésie ! Christianophobie ! Enfer ! ». Doit-on aussi rappeler que l’Enfer et le Paradis ne sont que des épouvantails servant à effrayer les gens qui les regardent ?
Dieu est une belle saloperie, qui aura coûté la vie et la liberté de plus de gens qu’il n’est possible de se le représenter. Et il faudrait s’interdire de lui cracher à la gueule, au nom de gens qui mettent leur conscience entre nos crachats et son divin visage ?
Si Dieu est intouchable à cause du fameux respect du prochain, qu’en est-il de la nation que nous souhaitons si chèrement abattre ?

Produits Marquants Codés

Les techniques de surveillance et de répression ne cessent de se perfectionner. Depuis les miradors, l’éclairage public, le bertillonnage, le pointage, la carte d’identité, la graphologie, le polygraphe, les empreintes digitales, l’ADN, la reconnaissance de l’œil, les caméras de vidéosurveillances, les badges, la reconnaissance faciale, les détecteurs de bruits anormaux, les drones, rien n’arrête la Smart City, l’avenir de toutes les grandes métropoles si nous n’y faisons rien. Pour compléter cet arsenal répressif déjà bien étoffé, la police peut compter sur les centaines de start-ups qui travaillent dur pour trouver de nouveaux moyens de faire peur et de mater toute révolte. Une des dernières expérimentations se trouve du côté du maintien de l’ordre, mais déjà utilisée depuis plusieurs années contre les cambriolages de commerces. Les Produits Marquants Codés (PMC) sont des produits chimiques invisibles à l’œil nu, inodores, et non toxiques qui sont utilisés pour marquer des individus à un moment où il n’est pas possible de les arrêter, et de les contrôler quelques heures ou quelques semaines plus tard (suivant le type de PMC), prouvant par la trace de ce produit, visible à la lumière UV, la présence d’une personne à un endroit et à un moment. Cette technologie anticasseurs, appliquée aux manifestations, était déjà promise par le ministre de l’intérieur Christophe Castaner en mars 2019 face à l’explosion du mouvement des gilets jaunes. Bien sûr, l’Assemblée nationale précise qu’il s’agit d’un produit qui ne peut être utilisé « que sur des manifestants commettant des délits ». Etant donné le moyen, parfois les canons à eau ou les gaz lacrymogènes, cela signifie donc que les flics peuvent décider qu’une partie entière est composée de délinquants, et que l’autre non. La direction nationale de la gendarmerie précisait, en 2021, dans le rapport de l’Assemblée Nationale, que « des études sont actuellement en cours quant à l’utilisation des produits de marquage codé au rétablissement de l’ordre, via un marqueur à distance individualisant longue portée, capable de tirer des billes frangibles de PMC ». C’est certainement ce qui a été vu utilisé en mars 2022 par les gendarmes lors des manifestations dans les Deux-Sèvres contre le projet des méga-bassines, sous la forme de balles type paintball. Utilisé aussi, le même mois, en Corse durant les manifestations suite à la mort d’Yvan Colonna, sous forme de spray.
La peur de la répression fait partie de la répression. Savoir que l’on est surveillé tend à nous paralyser. Les PMC, visibles nous rappelle qu’on est dans le viseur de la police. Les marqueurs invisibles, qui ne prouvent pas un délit mais seulement la présence d’une personne à un endroit, participent aussi à la peur puisque, éventuellement, dans chaque gaz lacrymogène peut se cacher un marqueur, visiblement.
La colère qui gronde ne sera pas arrêtée par des outils techniques. L’intelligence collective d’une émeute, d’un mouvement social, peut mettre à terre tous les drones, peut percer toutes les lignes de flics, détruire tous les palais de justice, rendant ces gadgets inutilisables de fait.

Dans l’ombre

LE VIEUX MONDE

Ô flot, c’est bien. Descends maintenant. Il le faut.
Jamais ton flux encor n’était monté si haut.
Mais pourquoi donc es-tu si sombre et si farouche ?
Pourquoi ton gouffre a-t-il un cri comme une bouche ?
Pourquoi cette pluie âpre, et cette ombre, et ces bruits,
Et ce vent noir soufflant dans le clairon des nuits ?
Ta vague monte avec la rumeur d’un prodige
C’est ici ta limite. Arrête-toi, te dis-je.
Les vieilles lois, les vieux obstacles, les vieux freins,
Ignorance, misère et néant, souterrains
Où meurt le fol espoir, bagnes profonds de l’âme,
L’ancienne autorité de l’homme sur la femme,
Le grand banquet, muré pour les déshérités,
Les superstitions et les fatalités,
N’y touche pas, va-t’en ; ce sont les choses saintes.
Redescends, et tais-toi ! j’ai construit ces enceintes
Autour du genre humain et j’ai bâti ces tours.
Mais tu rugis toujours ! mais tu montes toujours !
Tout s’en va pêle-mêle à ton choc frénétique.
Voici le vieux missel, voici le code antique.
L’échafaud dans un pli de ta vague a passé.
Ne touche pas au roi ! ciel ! il est renversé.
Et ces hommes sacrés ! je les vois disparaître.
Arrête ! c’est le juge. Arrête ! c’est le prêtre.
Dieu t’a dit : Ne va pas plus loin, ô flot amer !
Mais quoi ! tu m’engloutis ! au secours, Dieu ! la mer
Désobéit ! la mer envahit mon refuge !

LE FLOT

Tu me crois la marée et je suis le déluge.

Victor Hugo

MORT AUX DICTATEURS ET A LA POLICE DES MŒURS !

Depuis la mort de Mahsa Amini, les femmes en Iran brûlent leurs voiles, dévoilant au monde entier le beau spectacle d’individus révoltés. Arrêtée pour un de ces prétextes arbitraires dont la Gasht-e-Ershad (police des mœurs chargée d’appliquer entre autres les règles de tutelle religieuse des femmes) est coutumière, la jeune femme a subi des mauvais traitements qui l’ont tuée. Il ne s’agit pas d’une simple affaire de « bavure policière ». Des manifestations ont lieu à Saqqez, à Sanandaj, mais aussi à Téhéran, et dans une quarantaine d’autres villes depuis cinq nuits de suite. Partout on entend “Mort à la République islamique !”,“Mort au dictateur !”. Sa mort intervient dans un contexte de répression générale qui pèse sur tout l’Iran. Elle est la goutte d’eau qui fait déborder la colère sociale s’étant exprimée toutes ces dernières années.

Plusieurs mouvements de contestations ont eu lieu depuis la réélection (truquée) d’Ahmadinejad en 2009. Mais c’est avec l’élection (truquée là encore) de Rohani et les mesures d’austérité qui l’ont accompagnée en 2017 que les mouvements de révoltesont pris un tour violent, malgré une tentative de la part de l’opposition officielle d’en prendre le contrôle. Ce sont des jeunes ouvriers et des chômeurs, ce sont des jeunes femmes luttant pour leur liberté qui se soulèvent non simplement contre les mesures du gouvernement, mais contre le régime théocratique et dictatorial lui-même.
Deux ans plus tard, en 2019, les actions des révoltés ont pris l’allure d’une lutte arméeet en armes, avec des incendies de banque par tout le pays, des sabotages de raffinerie dans des contextes de grève sauvage et fait inédit – l’attaque de bases bassidjis (branche paramilitaire des « Gardiens de la Révolution islamique » (sic) placée directement sous l’autorité de l’ayatollah Khamenei). La répression a été féroce : 7000 arrestations d’individus dont on arrache des aveux sur leurs actions, 234 personnes tuées en tout, 3 500 blessés, 7000 personnes avaient été arrêtées. Le régime des Mollahs a envoyé sa police tirer sur les manifestants. Une fille âgée de dix ans a reçu une balle dans la tête à Bukan. Et le gouvernement a coupé Internet et instauré une censure vis-à-vis des médias extérieurs pour qu’on ne sache rien de tout ça…
C’est fort de toute cette colère, fortifiée d’ailleurs par les pénuries d’eau durant les étés (imputées à tort au réchauffement climatique par le gouvernement, alors qu’elle est le fait d’une « mafia de l’eau » composée de grands propriétaires qui la détourne massivement pour leur propre profit) et les pénuries alimentaires dans les diverses provinces, — c’est fort aussi de toute l’expérience de la répression que ce mouvement quinquennal de révoltes devient insurrectionnel aujourd’hui et laisse la police et l’armée momentanément désorganisée. Pour combien de temps ? D’autre part, si le mouvement est sans leader pour l’instant, la possibilité que des organisations en prennent le contrôle pour les plier à leur propre agenda politique n’est pas exclue.
Quelles sont les forces qui risquent de récupérer le mouvement ? Comment les endiguer ? Certaines organisations politiques nationalistes qui ont été écartées de la Révolution islamique de 1979 repointent le bout de leur nez, tel la CNRI/OMPI (Conseil National de Résistance iranienne composée pour l’essentiel des militaires sectaires de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien). D’autres organisations, plus récentes, luttent en régionalistes face à l’ « occupant » iranien. Le KDPI (Parti démocrate kurde en Iran) et le Komala (parti social-démocrate) récemment alliés et en concurrence avec le PKK pour le projet d’une révolution dans la région qui aboutirait à un État fédéral et multi-confessionnel appellent à la lutte contre les forces de l’ordre iraniennes par tous les moyens.
En somme, c’est la tentation d’une révolution encore nationaliste qui pèse sur l’Iran, révolution qui se fera au détriment des révoltés de là-bas comme d’ailleurs — révoltés qui savent que la répression qu’ils subissent déjà et subiront inévitablement dans un tel contexte a peu à voir avec leur appartenance ethnique ou religieuse, tout comme les raisons qui les ont précipité sur les barricades à visage et chevelure découverts, la rage au ventre.
Quelles perspectives révolutionnaires pourraient se dessiner au sein de ces insurrections ?
Comment faire en sorte que ces incendies, ces actes de sabotage et de tabassage de flic trouvent un écho dans les autres pays, comme par exemple chez les libanais qui braquent les banques pour survivre ou les étudiants grecs qui manifestent pour que les condés n’aient pas place dans leur fac ? Comment faire en sorte que ce qui se passe en Iran ait un écho en France ? Ici, ça représente d’autant plus une gageure qu’on assiste à d’étranges atermoiements de la part de militants qui, par anti-impérialisme, s’abstiennent de dire quoi que ce soit sur la situation en Iran. Un silence assourdissant sur les mouvements de révoltes, rompu çà et là par de vagues allusions à l’insidieuse influence occidentale que subit le régime des mollahs et qui justifierait une certaine réserve… Bref, on rejoue la partition manichéiste et proto-complotiste d’un choix entre deux camps (grosso-modo Israël ou les USA vs l’Iran) en fermant délibérément les yeux sur un mouvement dont la spontanéité ne fait aucun doute.
Comment se solidariser avec ces femmes et ces hommes qui ont décidé de lutter contre leur quotidien et contre les pouvoirs en place sans tomber dans les pièges du manichéisme et du démocratisme ?
Car ici aussi, nous devons nous méfier de toute forme de récupération politicienne, qui ne voit dans ces soulèvements qu’une occasion de plus de sortir leur soupe stérile des fameux « débats sur voile » (qui ont lieu à gauche chez les meilleures féministes réformistes comme à droite chez les conservateurs réactionnaires).
Il est plus que nécessaire de réaffirmer et consolider une solidarité internationale et d’être à la hauteur de celles et ceux qui luttent en mettant leur vie et leur liberté en péril.
Vite ! Rencontrons-nous pour que ce mouvement en Iran ne soit ni isolé, ni asphyxié par les pouvoirs !
Afin qu’on ne puisse plus interposer entre les révoltés de tous les pays les voiles identitaire qui nous maintiennent dans l’ignorance de notre force collective et de la perspective internationaliste qui peut la rendre concrète,
SOLIDARITÉ TOTALE AVEC LES INSURGES ET MORT A LA THEOCRATIE IRANIENNE !

Sur le Liban

Texte reçu par mail

J’ai voulu écrire un texte sur Ô combien les libanais étaient des gens animés par un esprit révolutionnaire puis je me suis souvenue que cela fait désormais 4 ou 5 ans qu’ils ne peuvent accéder à leur argent et qu’il n’y a pas de mouvement de masse pour faire flamber toutes ces banques. 4 ou 5 ans que ponctuellement des gens cassent des vitres par-ci par-là pour avoir leurs thunes et une révolution en 2019 qui s’est essoufflée en quelques mois. La place du parlement est toujours barricadée comme si la révolution s’était déroulée hier ou comme si elle allait arriver demain. La place des martyrs pue la révolution mais pue aussi le vide. Elle est couverte de tag mais il n’y a personne. Le présent ici c’est le rien. Les gens suffoquent. Le feu de l’explosion sur port n’est toujours pas éteint. Les gens crèvent, ça pue la pollution et la fumée qui continue de s’échapper du port est toxique.L’atmosphère est tendu. Les gens sont coincés là, entre des villes chrétiennes, musulmanes et des villes tenues par le Hezbollah. Après quelques jours ici, ce que je vois ce sont des gens qui attendent une nouvelle guerre pour pouvoir se casser de cet enfer en obtenant un statut de réfugié politique. Ils sont à deux doigts de prendre des bateaux pour sortir d’ici. Ils sont au milieu d’un néant qui se consume sur lui-même mais une brindille qui prendrait feu pourrait vite devenir un brasier.

Dans un précédent article…

Dans un précédent article, nous avons affirmé l’urgence d’un internationalisme antimilitariste au moment où la guerre en Ukraine venait d’être déclarée (« Perspectives internationalistes en temps de guerre », n°2). La récente décision de Poutine de mobiliser la population civile russe dans sa guerre infâme et son intention déclarée d’utiliser l’armement nucléaire ne fait que rendre cette urgence plus concrète qu’elle ne l’est déjà. L’oukase signée par le tyran botoxé est d’autant plus abjecte qu’elle garde secrète – un secret de polichinelle pour tous les russes – une clause : la mobilisation de la population carcérale russe, ce qui est un moyen de (re)mettre plus vite en première ligne les réfractaires et les déserteurs !
Jusqu’alors, on brûlait en Russie des comicos et des centres de recrutement, tandis qu’en Biélorussie on sabotait les lignes de chemin de fer qui permettent l’approvisionnement militaire. Les flammes antimilitaristes doivent plus que jamais s’intensifier dans ce contexte, et la solidarité entre révolutionnaires s’affirmer !

Mauvais Sang numéro 3 / Édito

Cliquer sur l’image pour télécharger le pdf du numéro 3

Depuis la fin du deuxième tour des élections présidentielles, l’illusion du bienfait de la gauche au pouvoir semble encore (et toujours) survivre sous la forme de la NUPES, du fameux troisième tour social, qui vient concrétiser la fameuse convergence des luttes que tout le monde semble avoir à la bouche, pour une négociation de meilleures conditions d’exploitation. Et pendant ce temps, pendant que les professionnels du sujet continuent leurs carrières dans la récupération de la colère, partout on raque, partout on pourrit en cellule, partout on crève et partout on en a marre. La police, de gauche ou de droite, fait et va continuer à faire son sale boulot en protégeant l’Etat et le capitalisme, avec sans cesse de nouveaux moyens, comme récemment la possibilité de récupérer les empreintes des gardés à vues sous la contrainte, c’est à dire sous les coups de pieds et de Taser. Mais c’est aussi un mouvement d’occupation à l’encontre des élections présidentielles qui a surpris tout le monde durant ce printemps, avec l’occupation de la Sorbonne puis d’autres bâtiments universitaires, en parallèle de nombreux blocages de lycées, et même si ce mouvement ne survit pas aux pressions policières, salariales et syndicales, il sera quand même venu nous rappeler que s’organiser largement et offensivement est à notre portée et que nous devons jeter nos forces dans son dépassement et dans son amplification. Nous ne pouvons qu’espérer que l’espoir qu’il a fait naître, chez de nombreuses personnes que les classifications sociologiques (étudiants, travailleurs, gilets jaunes, etc.) ne suffiraient pas à comprendre, saura s’exprimer sous de nouvelles formes, et vite.
Parce que nous pensons que les outils de la critique sont autre chose qu’un objet inerte de laboratoire, nous faisons paraître ce troisième numéro de Mauvais Sang dans l’intention de contribuer à ces récentes dynamiques de révolte.
Il est possible de nous contacter par mail, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions. Il est aussi possible que nous vous contactions, que ce soit pour entrer en conflit, pour poser des questions ou autres contributions.
Des enfants bâtards de l’anarchisme et du communisme

Prise d’empreintes sous la contrainte, refus collectif et vengeance

Le 14 mai 2022, à Paris, dans le commissariat du 5ème arrondissement, quatre gardés à vue pour des motifs différents (deux pour stup et deux pour intrusion et dégradation) se sont retrouvés, depuis la même cellule, à partager une situation et un refus commun et à s’entre-aider pour maintenir ce refus : celui de donner ses empreintes. Toutes les raisons sont bonnes d’empêcher un fichage. Depuis janvier, en plus d’être un délit, le refus de donner ses empreintes peut exposer à devoir lutter contre la force, le procureur pouvant demander une prise « sous la contrainte » effectuée par l’OPJ et d’autres flics. Ce n’est pas systématique : le jour même, dans d’autres cellules, plusieurs personnes sont sorties de GAV sans avoir donné leurs empreintes.
Il s’agit encore d’une zone inhabituelle autant pour les flics que pour nous : jusqu’où peuvent-ils, vont-ils aller dans l’usage de la contrainte physique ? Jusqu’où allons-nous résister ? Que peuvent faire les baveux pour faire leur travail de bataille juridique afin de s’impliquer dans la contestation de cette modification récente de la loi, grâce aux occasions que nous leur offrons ?
Maintenant que l’on sait que la prise d’empreinte sous contrainte peut avoir lieu (ce n’est pas la première ni la dernière fois), essayons de réfléchir aux manières d’entraver coûte que coûte, individuellement comme collectivement, ce processus. Le récit qui suit est une manière de contribuer à cette réflexion, afin que nous puissions tous avoir en tête des récits de refus d’obtempérer qui ont pu marcher (ou, à l’inverse, pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné, etc). Crier et s’énerver, ça peut fonctionner…et surtout, surtout ça peut marcher collectivement. Le refus des uns aide les autres. Alors aidons-nous les uns les autres et refusons la signalétique.
Ainsi, dans le commissariat du 5ème, il y a peu de temps :
« La sale merde que l’institution appelle OPJ convoque un par un les récalcitrants et les informe dans son petit bureau que la police va réaliser une prise d’empreinte « sous la contrainte », sur demande du procureur. Cette formulation qui ne veut rien dire impressionne. Tout de suite celui qui était là pour stup prévient les flics et ses co-gardés à vue qu’il est prêt à tout pour ne pas les donner. Alors que tout le monde somnole, les voilà : l’OPJ et un policier ouvrent la porte et lui disent de venir, peut-être pour mater le plus vite possible le plus véhément. Il refuse de les suivre et ils le tirent hors de la cellule, sous une pluie d’insultes et de menaces. Les autres l’entendent hurler et la peur s’installe. Il revient, torse nu, le pantalon baissé, tremblant de rage, et il raconte. Entre les « fils de putes » et les « Je vais les trouver dans le quartier pour les tuer », il dit qu’il a réussit à ne pas donner plus que les doigts de la main droite, et mal, c’est à dire ni la paume, ni le côté des doigts, ni rien de la main gauche. Une victoire, à quel prix ? Tête écrasée sur le sol, puis clef de bras sur le bureau en métal, coups de genoux et de poings dans le coxis, doigts tordus, pas mal de frayeur et un sentiment d’humiliation qui donne l’envie de se venger « sans proportionnalité », comme dirait un porc. Pas de coups de Taser pour cette fois. Ils viennent chercher le deuxième, dont c’est la première garde à vue. Après avoir marché jusqu’au bureau de métal, entouré de 6 policiers, ils lui plaquent un Taser à poing dans le dos et le menacent. Ces salauds obtiennent alors partiellement ce qu’il voulaient : les empreintes d’un des trois, avec cette menace de torture électrique.
Retour à la cellule, les flics retournent chercher le dernier qui n’a pas encore donné ses empreintes. Le premier à les avoir données s’implique, il met les matelas et les couvertures sur la porte pour barricader bloquer la porte de la cellule. Sur ses conseils, le dernier met ses chaussettes qui puent sur ses main et se met au coin le plus éloigné de la barricade de fortune. Les flics arrivent, demande que ça se passe sans contrainte. C’est mort : « Allez-y, contraignez moi, pour voir ». Il se fait tirer au sol jusqu’à la salle. Ils sont 6 policiers à l’intérieur. Taser sur les côtes, « 3, 2, 1 … » et puis… rien. Ce ne sont pour l’instant que des menaces, une forme de négociation. Clef de bras, la tête sur le bureau froid, et la contrainte commence. Coups dans le coxis, doigts tordus, mollet écrasé, et 6 coups de tasers sur la cuisse. Les fliquettes, ces sales chiennes, sont derrière et galvanisent leurs collègues. Leur but est toujours que la prise d’empreinte se fasse sans prendre la main de force. Après 5 minutes de cris, ils prennent comme pour l’autre uniquement le bout des doigts de la main droite.
Retour en cellule, haine collective. « La prochaine fois qu’on en a un sous la main, c’est coup de marteau dans la tête direct ». »
Dans ce commissariat, les flics ont laissé tomber la prise d’ADN. La férocité du premier récalcitrant a sans doute aidé à cela, en aidant tous les autres.
Devant cette loi qui ne nous permet même plus de commettre de délits tranquilles, il est plus qu’urgent de trouver de nouvelles stratégies de défense collective : barricader les portes de sa cellules, enfiler des chaussettes puantes sur ses mains, ouvrir et fermer frénétiquement les doigts pour les décourager, crier, se débattre, se recouvrir le visage avec l’encre des empreintes pour ruiner leurs photographies, déchirer les feuilles des empreintes au dernier moment… Tout est encore à imaginer. Inspirons nous de celles et ceux qui, depuis le creux de leurs cellules, ont eu le courage de résister face aux flics.
Et pour finir, si les flics nous humilient et nous contraignent, vengeons-nous ! Et pas seulement individuellement, ça va deux minutes de se faire marcher dessus.

L’occupation de la Sorbonne n’était pas étudiante !

Le mouvement des occupations aura vu émerger une problématique qui s’est fréquemment posée au cours des derniers mouvements sociaux : la convergence des luttes.
Si l’on voulait être caricatural, on dirait que la « convergence des luttes », c’est comme le « troisième tour social » : c’est bien souvent un syndicaliste en AG qui a envie de se faire applaudir après un beau discours et de recruter. La convergence porte l’idée d’un côte à côte : il ne s’agit pas de dépasser les contradictions des luttes spécifiques mais de les faire marcher parallèlement, sans qu’elles ne se touchent jamais ni se rencontrent autrement que lors de cet hypothétique « grand soir » reporté indéfiniment. La « convergence des luttes » n’est jamais atteinte, mais cette idéologie se matérialise en partie sous la forme à laquelle se cantonnent actuellement la plupart des manifestations : chaque collectif se forme en cortège (étudiant, sans-papiers, syndical, etc.) et se retrouve à côté des autres, chacun dans son coin, place de la nation, tous tournés dans la même direction, c’est à dire… place de la Bastille, et puis voilà. S’opère ainsi un calcul infinitésimal, consistant à additionner les moindres différences, et qui n’aboutit à rien. Nous gagnerions sans doute à quitter ces cloisonnements folkloriques que de les rejoindre en ajoutant une carotte de plus à la soupe militante, si nous voulons envisager le dépassement inventif et offensif des mouvements sociaux. Sinon, la où cette idéologie s’épanouit, et la où elle a bien une chance de faire quelque chose aujourd’hui, c’est dans l’opposition parlementaire à Emmanuel Macron par la NUPES. Léninisme, convergence, 3ème tour social, et démocrate, et nous voilà repartis pour toujours la même merde modérée attentiste et gauchiste. Sortons de la convergence, dépassons, et vite.
La « convergence des luttes » ne désigne que ce moment de rencontre entre plusieurs parties (ou plutôt leurs représentants) qui défendent leurs intérêts propres. Cette dynamique, celle de la sectorisation est, à terme, sclérosante, et contribue à récupérer puis à tuer les mouvements de révolte. Lorsque, au nom de la « convergence des luttes », quelque organisation envoie le représentant des étudiants parler au représentant des migrants, cela ne fait pas que les étudiants et les migrants luttent ensemble pour une vie meilleure, cela permet simplement qu’à certains moments définis, des personnes d’un des deux groupes « soutiennent », plus ou moins de loin, la lutte de l’autre. Cette position de retrait empêche les mouvements de prendre de l’ampleur et ne sert qu’à produire un jeu similaire à celui des partis et des syndicats venus massifier et encarter.
Alors, comment lutter ensemble, sans tomber dans le piège de la posture de soutien facile ? (On ne sait que trop bien comment les élus « soutiennent » les manifestations, ou comment les chercheurs et professeurs émérites « soutiennent » les occupations, à condition qu’elles ne débordent pas trop trop, qu’elles se maintiennent dans les limites de la simple contestation revendicatrice !)
Comment prendre part à une lutte sans appeler à rejoindre la sienne ? Comment faire que « sa » lutte devienne l’affaire de tous ceux qui souhaitent lutter, et qui, chaque jour, se révoltent contre ce monde, contre leur travail et leurs salles de classe ? Comment, dans un mouvement, se laisser dépasser par les initiatives venues de « l’extérieur » de son organisation et de son collectif ?
S’il n’est pas de réponse pré-établie à ces questions, il nous semble que c’est bien dans la curiosité active de ce qui est proposé lors des moments d’organisation collectifs et dans la vigilance combative face aux initiatives qui souhaiteraient prendre le pouvoir au sein de ces instants, que des pistes de réflexions et d’actions peuvent s’ouvrir.
Il est important de garder à l’esprit que toute lutte porte en soi un commun avec les autres, celle d’une confrontation ici et maintenant avec l’existant. Comme pour les participants aux luttes, l’intérêt n’est pas tant d’où l’on vient (quel secteur professionnel, quelle fac, quel quartier, quel genre) mais ce qu’on agit, où l’on va, et jusqu’où ce commun peut nous porter dans ces moments de luttes.
La « convergence des luttes » ne nous offrira donc pas mieux qu’un statut de spécialiste dans notre lutte sectorielle et d’« allié » dans celle des autres. Un « allié » dont l’activité n’est finalement que d’affirmer nominalement qu’il soutient telle ou telle lutte et qu’il faut les faire converger. Virtuellement, l’ « allié » a tout d’un touriste qui peut se désengager à tout instant d’une dynamique parce qu’il n’est pas un « premier concerné ». Et inversement, un « premier concerné » aurait toute légitimité à réduire autrui au statut de simple « allié », sous prétexte d’incarner l’un des aspects problématiques d’un mouvement dont la problématique générale est cependant sensible à tous ceux qui sont présents en son sein. Il peut d’autant plus opérer cette réduction qu’il maîtrise, jusqu’au bout des doigts, les codes sociaux qui lui permettront d’obtenir d’autrui qu’il cède systématiquement la parole à ceux qu’on suppose être spécifiquement concernés par une question, et ce avant voire sans même avoir défini le caractère spécifique de cette question.
Lorsque, dans un mouvement qui nous dépasse tous, nous cessons de lutter en tant qu’étudiants, travailleurs, chômeurs, lycéens… Lorsque, dans un même élan, nous laissons de côté nos revendications particulières pour embrasser le feu de la puissance collective… de nouveaux possibles s’ouvrent enfin devant nous, portant avec eux l’inconnu et la joie de la révolte.

La volonté d’impuissance

L’État, avec son armée, ses tribunaux, sa police et ses dispositifs de surveillance, a tout intérêt à ce que chacun croit – jusqu’à l’irrationalité – qu’il est tout puissant, voire même omniscient, notamment grâce aux nouvelles technologies de vidéosurveillance (caméras, fichier ADN, détecteur de mouvements, localisation de téléphones, etc.). Il semble d’ailleurs que plus l’État est en crise, plus ses assises et sa légitimité sont contestées, plus la rhétorique de ses défenseurs devient celle de la maîtrise, avec pour corollaire la tentative de faire peur à tous ceux qui voudraient le contester. Plus l’État est fragilisé et plus il se dit puissant, capable d’écraser ses ennemis. On se souvient à cet égard du contexte de répression des Gilets Jaunes, quand les annonces gouvernementales et préfectorales de risques de graves blessures en manifestation jouaient sur ces effets de peur, visant à ce que chacun se terre dans son coin, effrayé et paralysé. On peut presque être certain que l’État, jusqu’à ce qu’il crève sous nos révoltes, tiendra fermement à son point de vue de maître absolu. L’État aimerait bien être un Dieu immortel.
Mais nous, qui le savons mortel, contingent, historique, à balayer du présent et du futur, pourquoi ne consacrons-nous pas plus d’énergie à réfléchir à ses failles, à ses faiblesses, en vue de lui porter des coups dont il ne se remettra pas ? Pourquoi ne voyons-nous pas dans les droits qu’il nous accorde des brèches pour le détruire ? Paradoxalement, il nous semble que ces derniers temps, ce sont jusqu’à des discours militants qui se sont, inconsciemment, fait « relais » de la peur de l’État. Avec cet article, nous cherchons à comprendre comment est-ce que des formes de défiance et de refus de la gestion étatique peuvent au final se retrouver à diffuser une certaine impuissance collective au sein des luttes, en surenchérissant sur la logique de la peur de l’État.
L’hypothèse avancée ici est que cette diffusion très-à-gauche de la peur s’origine dans la tendance à jouer sur les ressorts de l’indignation, du choc et de la sidération pour « scandaliser », en pensant que c’est la prise de conscience de la terreur imposée par l’État qui mobilisera tout le monde. Lorsque dans une manifestation des gens viennent dans le but de filmer toutes les « violences policières » et les partager sur les réseaux sociaux, ils ne se disent sans doute pas du tout que cela participe au travail et au fonctionnement de la police (c’est-à-dire faire peur par le zoom affectif sur des situations détachées de tout contexte et de toute analyse)… bien au contraire, ce qui en ressort c’est un discours qui nous parle de témoignage, de dénonciation de la violence, de journalisme et de liberté d’information ! On peut déplorer que rarement, lors de manifestations, ne se pose la question du devenir de ces images, et qu’elles servent bien souvent (presque même systématiquement) à fournir les fichiers des renseignements généraux et de pièces de dossiers à charge contre les manifestants au tribunal. Alors il s’agit de mettre en scène la brutalité des flics, de pousser des cris, de se lamenter… Mais où cela peut-il bien mener ? À la révolte ? Pas si sûr. Combien de personnes sont terrifiées d’aller en manifestation, parfois sans jamais même y être allées ? Quelle force collective y a-t-il dans une perspective comme celle-là ? Cette manière de mettre en scène des événements autour de ressorts purement affectifs est à mille lieues d’une analyse des rouages de l’État. Cela ne peut qu’empêcher le déploiement d’une raison subversive, d’une réelle critique sociale et d’une praxis révolutionnaire. Les logiques de vente et de marché ont évidemment tout intérêt à imbiber en permanence des événements et des faits sociaux de sensationnel et de pathos victimaire, puisque le rôle de victime est de pouvoir s’adresser jusqu’à la fin des temps à un vain tribunal de l’Histoire : les victimes parlent, produisent du discours, sans cesse récupéré, récupérable, infini puisque la souffrance ne saurait être rachetée. Les médias avides de premières pages émotives adorent les victimes. Mais la révolution ne connaît pas de victimes – ni de héros par ailleurs -, elle ne connaît que des révolutionnaires qui se sont battus et se font battre. Ne trahissons pas leur mémoire en vue d’une récupération. La révolution est illégale et les révolutionnaires sont coupables ? Très bien, c’est en cela que nous les défendrons. Nous pensons que la logique de la révolte est nécessairement en rupture avec les positions de victimes et de martyrs. Alors que toujours, et sur toutes les formes de luttes, des résistances apparaissent face au contrôle, à la surveillance, à l’exploitation, la gauche préfère fantasmer un contrôle total, dans l’unique objectif de séduire. Ce fantasme de l’État total est justement le fantasme de l’État lui-même. La réalité est bien plus complexe, pleine de failles, de crises et d’aspérités. S’inscrire en continuité avec cette vision mi-effrayée, mi-fascinée d’une sorte d’État omnipotent ne peut se radicaliser que dans deux sens complètement contre-révolutionnaires : soit il devient alors pragmatique de construire un contre-pouvoir qui ne saurait être qu’une opposition étatique au gouvernement alors en place (tiens, voilà la gauche !) ; soit tout apparaît pathologiquement et mystiquement comme un complot absolu, ne laissant plus à chacun que le choix d’être l’exégète de cette morbide sacralisation de l’État qui croît un peu partout dans le monde à notre époque (tiens, déjà Lundi matin et l’Appel qui nous casse les oreilles ?).
Pour que l’État ne soit plus qu’un vieil instrument de domination du passé, vive la Révolution !